« Méandres », Charlotte Grégoire, Lisa Da Boit

26042010

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C’était un jeudi soir. Je remontais la rue du Fort (Bruxelles) pour assister au « Pianofabriek », à la projection d’un moyen métrage de 35 min, réalisé en 2010. Méandres de Charlotte Grégoire. Un film produit par « AJC ! », (atelier jeunes cinéastes), une maison de production qui permet à de jeunes et moins jeunes cinéastes débutants de réaliser leur film no budget mais avec toute l’aide technique et humaine nécessaire… La « magie du cinéma », sans engager les sommes d’argent astronomiques du cinéma courant… 

J’étais assis dans le noir et je sentais dans mes veines les paroles du Grand Martin commencer à bouillonner : « Pourquoi y a-t-il quelque chose et non pas plutôt rien ? ». Pourquoi cette succession d’images que je commençais à éprouver (le film) et non pas une autre ; pourquoi ce choix de plan, cette association de plans… Quels effets ces associations-là, ce montage-là, ce choix précis qui excluait les autres possibles, quels effets tout cela faisait-il sur moi ? Que ressentais-je ? J’essayais de comprendre… De sentir, de me formuler ce que je sentais au plus près de ce que je voyais…  (Une vraie maladie…) 

Méandres : filmer pendant plusieurs semaines une danseuse, Lisa Da Boit (« Giolisu ») qui répète des mouvements ; faire sentir au spectateur ce travail d’essai qui mène à une chorégraphie que le film montre, dans les cinq dernières minutes.  Première partie. Huit séances, six temps successifs où l’on voit la danseuse essayer des mouvements. Le spectateur sent la progression (la voit aux coupures et aux vêtements qui changent, à l’arrivée de la danseuse sur les lieux). Un lieu de répétition : une salle avec un grand mur, une porte au milieu, des vitres, deux châssis industriels découpés en carreaux  de chaque côté de la porte : tout cela filmé en frontal (on voit parfois, reflétée par la vitre, la cinéaste, en face de la danseuse). Le spectateur se familiarise peu à peu avec ces mouvements, une matière à interpréter, qui se précise de répétition en répétition. On voit un corps qui semble tenter de prendre place, progressivement, dans l’espace. D’abord des gestes rapides autour du visage, qui écartent quelque chose (comme quand un insecte nous gêne). Puis avec une craie, le corps trace son contour sur le mur, dessine aussi des repères sur le sol. Autre type de mouvement : le corps rampe dans diverses postures, contre le mur, sur le sol ; explore la forme particulière d’une chaise de bureau placée à un certain moment près de la porte, explore et tente d’y adhérer.  Sur une musique moderne un peu industrielle, le corps développe toute une chorégraphie en mouvements tournants, rapides et glissés, à terre. Un corps qui, à d’autres moments, se dépouille de ses vêtements, comme une chrysalide… Des mouvements qui parfois se combinent. 

Reconnaissance, affirmation, éclosion du corps ?; fin de chorégraphie : la danseuse expulse de sa bouche, lentement, une fleur. Nous voyons ces mouvements évoluer au gré des six temps. On voit que la danseuse arrive, porte d’autres vêtements… Le film est court et pourtant, en peu de minutes, montre le travail du temps sur une action humaine très porteuse de sens énigmatique, la chorégraphie, action sur laquelle il se concentre et le film acquiert ainsi une densité dramatique. 

Qui culmine dans la deuxième partie, les cinq dernières minutes où la danseuse offre son travail à un public très particulier. Des performances dans deux lieux de passage impersonnels ; des stations du métro bruxellois. Les gens passent indifférents ou s’arrêtent. D’autres photographient… Et cette solitude du corps dansant, qui dans cette chorégraphie montre un corps qui se cherche, se dépasse de façon émouvante à la fin du film. La danseuse est filmée s’approchant du public improvisé et donnant la fleur à un enfant…  Filmer la recherche et filmer l’accueil par un public de hasard… 

Hugues Robaye

PS: le « Grand Martin »: Heidegger… 

Vidéo/35′/2010  Image et son: Charlotte Grégoire; Montage: Lenka Fillnerová;  Montage son et mixage: Christian Coppin.  Avec Lisa Da Boit (Giolisu)  Production: AJC! (avec le soutien de Graphoui). Film réalisé dans le cadre du SIC 2009 www.ajcnet.be 




Vies perdues

13042010

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Parmi les lectures qui bouleversent, jusqu’à parfois infléchir une vie, il en est qui provoquent d’abord un sentiment d’angoisse et de malaise. C’est ce sentiment-là que j’ai éprouvé à la lecture de l’essai Vies perdues du Polonais Zygmunt Bauman, le même sentiment  qui jadis m’était venu dans le musée consacré au sculpteur Wladislaw Hasior, à Zakopane. Les Polonais, peut-être plus encore que les Russes, savent exprimer une révolte métaphysique.

Ecrit dans le même style détaché, presque nonchalant, avec lequel la globalisation marchande transforme des êtres humains en rebut, l’ouvrage de Zygmunt Bauman commence par une évocation de Léonie, une des Villes invisibles d’Italo Calvino. A Léonie, les habitants ont tant la passion de la nouveauté que chaque jour ils envoient au rebut ce qui les avait séduits la veille. De la sorte, la ville finit par s’entourer d’une chaîne de montagnes de déchets indestructibles, vers  laquelle personne ne souhaite élever le regard. Comme Léonie, notre monde marchand relègue à ses frontières des déchets, avec toutefois, en plus de déchets matériels, aussi des déchets humains. Ceux-ci ne peuvent plus aujourd’hui espérer un recyclage car la globalisation marchande ne cesse de se délester de ses collaborateurs.  Et comme elle a déjà pénétré le monde entier, pas plus ne peuvent-ils être envoyés au loin, comme au temps des colonies ou des terres « vierges ». Il faut alors se résigner à leur présence improductive, et c’est le nouveau rôle de l’Etat de préserver de leur vue ou de leur odeur.

Bauman remarque que cette relégation, cette redondance déclarée d’une partie de la population s’accompagne de la disgrâce de l’éternité,  son héraut la culture et ses corrélats: la durée, l’engagement, l’oeuvre. D’après Max Scheler, cette disgrâce advint après le triomphe du divertissement, au sens pascalien, sur la conscience  de notre mortalité. Dans l’éternité, toute vie, même la plus modeste, avait un sens au moins potentiel; dans le monde liquide et éphémère d’aujourd’hui, au contraire, les formes évanouissantes du lien culturel ou social découvrent des vies nues et redondantes.

Zygmunt Bauman est aussi l’auteur d’une contribution à la livraison de printemps de la revue Entropia, revue d’étude théorique et politique de la décroissance.  Il y introduit trois personnages emblématiques. Dans la période pré-moderne règne le garde-chasse, dont le rôle est de préserver la nature, au besoin contre les braconniers ou les excès de la chasse. La période moderne voit la prévalence du jardinier, qui remodèle et humanise la nature selon ses vues. Mais dans la période postmoderne domine le chasseur: guettant ses proies, insoucieux de préserver un équilbre naturel, préoccupé seulement de la prochaine prise…

C’est à l’occasion de la sortie de ce numéro 8 d’Entropia, qu’est organisé un forum Territoires et décroissance  le 15 mai à Namur, avec trois tables rondes: 1) Subsister, protéger les biens communs 2) Habiter 3) Relocaliser

Zygmunt Bauman, Vies perdues, Rivages poche; revue Entropia, www.entropia-la-revue.org; forum Territoires et décroissances, www.grappebelgique.be

La photo en tête de ce billet a été prise en 2005 à Košice, lors des traditionnelles  »journées de la ville ». Košice fut, au Moyen Âge, un des foyers du développement européen. On voit sur la photo un (ou une?) SDF, tout pareil à ceux de chez nous, portant sur le dos cette inscription: « Aussi un travailleur slovaque est une personne humaine ».

Xavier Vanandruel







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