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Vies perdues

13042010

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Parmi les lectures qui bouleversent, jusqu’à parfois infléchir une vie, il en est qui provoquent d’abord un sentiment d’angoisse et de malaise. C’est ce sentiment-là que j’ai éprouvé à la lecture de l’essai Vies perdues du Polonais Zygmunt Bauman, le même sentiment  qui jadis m’était venu dans le musée consacré au sculpteur Wladislaw Hasior, à Zakopane. Les Polonais, peut-être plus encore que les Russes, savent exprimer une révolte métaphysique.

Ecrit dans le même style détaché, presque nonchalant, avec lequel la globalisation marchande transforme des êtres humains en rebut, l’ouvrage de Zygmunt Bauman commence par une évocation de Léonie, une des Villes invisibles d’Italo Calvino. A Léonie, les habitants ont tant la passion de la nouveauté que chaque jour ils envoient au rebut ce qui les avait séduits la veille. De la sorte, la ville finit par s’entourer d’une chaîne de montagnes de déchets indestructibles, vers  laquelle personne ne souhaite élever le regard. Comme Léonie, notre monde marchand relègue à ses frontières des déchets, avec toutefois, en plus de déchets matériels, aussi des déchets humains. Ceux-ci ne peuvent plus aujourd’hui espérer un recyclage car la globalisation marchande ne cesse de se délester de ses collaborateurs.  Et comme elle a déjà pénétré le monde entier, pas plus ne peuvent-ils être envoyés au loin, comme au temps des colonies ou des terres « vierges ». Il faut alors se résigner à leur présence improductive, et c’est le nouveau rôle de l’Etat de préserver de leur vue ou de leur odeur.

Bauman remarque que cette relégation, cette redondance déclarée d’une partie de la population s’accompagne de la disgrâce de l’éternité,  son héraut la culture et ses corrélats: la durée, l’engagement, l’oeuvre. D’après Max Scheler, cette disgrâce advint après le triomphe du divertissement, au sens pascalien, sur la conscience  de notre mortalité. Dans l’éternité, toute vie, même la plus modeste, avait un sens au moins potentiel; dans le monde liquide et éphémère d’aujourd’hui, au contraire, les formes évanouissantes du lien culturel ou social découvrent des vies nues et redondantes.

Zygmunt Bauman est aussi l’auteur d’une contribution à la livraison de printemps de la revue Entropia, revue d’étude théorique et politique de la décroissance.  Il y introduit trois personnages emblématiques. Dans la période pré-moderne règne le garde-chasse, dont le rôle est de préserver la nature, au besoin contre les braconniers ou les excès de la chasse. La période moderne voit la prévalence du jardinier, qui remodèle et humanise la nature selon ses vues. Mais dans la période postmoderne domine le chasseur: guettant ses proies, insoucieux de préserver un équilbre naturel, préoccupé seulement de la prochaine prise…

C’est à l’occasion de la sortie de ce numéro 8 d’Entropia, qu’est organisé un forum Territoires et décroissance  le 15 mai à Namur, avec trois tables rondes: 1) Subsister, protéger les biens communs 2) Habiter 3) Relocaliser

Zygmunt Bauman, Vies perdues, Rivages poche; revue Entropia, www.entropia-la-revue.org; forum Territoires et décroissances, www.grappebelgique.be

La photo en tête de ce billet a été prise en 2005 à Košice, lors des traditionnelles  »journées de la ville ». Košice fut, au Moyen Âge, un des foyers du développement européen. On voit sur la photo un (ou une?) SDF, tout pareil à ceux de chez nous, portant sur le dos cette inscription: « Aussi un travailleur slovaque est une personne humaine ».

Xavier Vanandruel







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