Habiter en poète
2062010« Territoires et décroissance »: c’était donc là le thème de la journée d’études, autour de la revue Entropia et de ses collaborateurs, à laquelle j’assistai voici quinze jours. Le matin, avant de prendre le train à la gare de Boitsfort, j’entendais à la radio le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, déclarer que la crise financière actuelle était la plus grave depuis la fin de la première guerre mondiale. Cette annonce semblait éclipser toutes les autres préoccupations pour l’avenir. Pour les sympathisants de la décroissance, dont je suis, cet accent exclusif sur les difficultés de la finance mondiale est dérisoire, car l’épuisement de la terre est une crise autrement plus grave. Comment se fait-il, alors, qu’on n’en prenne pas la mesure? Je crois que c’est le géophysicien américain Marion King Hubbert, spécialiste de la fin des ressources pétrolières*, qui a donné la meilleure réponse: « Notre ignorance n’est pas aussi vaste que notre incapacité à prendre en compte ce que nous savons ». Ou encore, peut-être se souvient-on de la déclaration de Jacques Chirac, alors président français, au sommet de la terre de Johannesburg: « Notre maison brûle et l’on regarde ailleurs » (mais que s’en est-il suivi?).
A quoi bon répéter encore dans une journée d’étude les données factuelles sur l’épuisement de la terre, si les participants les connaissent, mais qu’ailleurs on ne veut pas les prendre au sérieux? Des deux axes de la réflexion sur l’après de notre civilisation industrielle, celui de la nécessité et celui du souhaitable, il n’est pas étonnant alors que ce soit ce dernier qui ait ce jour-là suscité le plus d’intérêt, parfois l’enthousiasme. A propos de la manière d’habiter un territoire, furent évoquées notamment des expériences scandinaves d’habitats groupés. Au fil des interventions se précisait la recherche d’un équilibre entre le besoin de liberté individuelle et le besoin d’insertion dans une communauté. Thème déjà traité dans Entropia par le philosophe et anthropologue californien Marcel Henaff, autour de Jean-Jacques Rousseau, dont il montre qu’un souci majeur était la juste distance entre soi et autrui ( à ce propos, c’est précisément le thème de solitude et société qui guidera la matière des deux prochains numéros de MaYaK). Le rédacteur en chef d’Entropia, Jean-Claude Besson-Girard, évoquait, quant à lui, le poète allemand Hölderlin, pour inviter à habiter en poète sur cette terre, ou René Char, le grand poète français de la Résistance. Car ce n’est pas de l’enflure que considérer qu’aujourd’hui l’horizon, pas si lointain, est aussi sombre qu’il avait pu l’être alors.
La poésie est l’affirmation de l’illimitation de la réalité en « temps de détresse »…Si elle est d’abord mode de vie non mutilée, il s’agit de retrouver le chemin d’une pulsion plus forte que celle de la mort. C’est recouvrer une capacité de résistance et de création propre à notre espèce. Cette potentialité est la dimension poétique de l’habiter de l’être humain sur la terre…
Jean-Claude Besson-Girard
Xavier Vanandruel
* c’est lui qui a donné son nom au pic de Hubbert
Catégories : Entropia, Friedrich Hölderlin, Jean-Jacques Rousseau