On m’avait dit : « Au Yatenga, c’est presque un dieu. »
Mais qu’il était très malade. Que je ne le rencontrerais sans doute pas, malheureusement.
Et, arrivé là, à Ouaghiouya (Burkina Faso), Amidou Ganamé, secrétaire général des Groupements Naam (« puissance », en mooré), m’avait annoncé en souriant : « J’ai parlé au président, il vous verra demain. »
On ne connaît pas ces personnes, chez nous, au Nord, ou peu. De mon côté, j’avais lu, pour préparer mon voyage au Burkina, cette thèse de Bernard Lédéa Ouédraogo, sur les subtiles associations traditionnelles dans les villages burkinabè, liées au travail du sol, extensif bien sûr. Il y étudie comment l’entraide et le don régissaient l’organisation de la semaison, de la culture et de la récolte. Des associations de jeunes, de femmes, d’hommes où chacun tient un rôle précis, parfois teinté d’humour, et dont les actions s’entrecroisent, complémentaires et débordent largement les pratiques agricoles. « Chez nous, le paysan, c’est tout. » disait-il dans notre entretien… Un agriculteur, un artisan, un bâtisseur, un artiste parfois…
Il avait vécu cela dans son enfance, puis étudié, en sociologue formé au Nord ; puis écrit une thèse limpide, rafraîchissante et passionnante (à L’Harmattan).
Et surtout mis cela en pratique sur le plateau Mossi aride où la famine guette chaque année…
Et il a vaincu la famine… Par cette « astuce », comme il dit malicieusement, qu’il a trouvée : partir des aspirations des paysans, de leurs subtiles traditions d’associations multiples et introduire de nouvelles idées sur ce terreau … « Développer sans abîmer ». Et tout cela avec une ténacité étonnante.
Ces chiffres datent plus ou moins de l’an 2000, mais on comptait alors six mille quatre cent quatre vingt groupes et trois cent mille adhérents sur l’ensemble du Burkina Faso dont une moitié de groupements de femmes.
Une belle dynamique entre le lettré et le paysan au service d’une vision du monde où les traditions sont en dialogue avec le présent et l’invention.
Nous sommes le 6 février 2012, nous avons rendez-vous à 8 heures du matin dans le bureau du Président qui est en réunion depuis une heure. Il a 82 ans et vient de sortir de l’hôpital. Nous sommes à la direction générale des Groupements Naam, un grand complexe de pavillons : administration, radio, salles de conférence, réunions et cours, logements…
Aux différentes entrées, des panneaux d’interdiction d’accès : en leur centre, le mot « faim ».
Chapeau bas, Monsieur Bernard Lédéa.
Hugues Robaye
Savon de karité, fours solaires, bancs pour étudier le rayonnement endogène: productions des Groupements Naam