Actualité d’Aïtmatov
24042013C’est Hugues et Ludmila Krasnova qui m’ont fait découvrir l’écrivain kirghize, mais avant tout soviétique, Tchinguiz Aïtmatov. Les romans d’Aïtmatov peuvent paraître aujourd’hui passés, comme on dit d’une étoffe qu’elle est passée, par le ton humaniste, parfois enflé, qu’ils adoptent en plus d’un endroit. Mais ce n’est pas cet aspect-là, même si je le respecte profondément, qui m’attire aujourd’hui chez lui. Non, ce qui m’attire intensément, c’est ceci. Aïtmatov excelle à mettre en résonance l’homme et la nature. Davantage encore, dans plusieurs de ses romans, et des plus grands, Aïtmatov met en résonance, avec un très grand talent, le destin d’êtres humains et le destin d’animaux. Ainsi il y a, aux toutes premières pages des Rêves de la louve, cette scène extraordinaire, une des plus saisissantes que j’ai lues dans un roman, de la rencontre dans la steppe désertique entre la louve Akbara, qui protège ses petits, et un homme, dont on ignore encore le nom et pourquoi il erre à pied en cet endroit, qui, terrifié, « en perd momentanément la raison » et demeure prostré, ce qui empêche au dernier moment la louve de le saisir à la gorge.
Peut-être est-ce les études que suivit d’abord Aïtmatov, dans la section élevage d’un institut agronomique, qui ont favorisé chez lui cette faculté de parler des animaux, ou même de les laisser parler dans leur langage non verbal.
Peut-être alors l’actualité d’Aïtmatov tient-elle en ceci. Si l’homme occidental, celui que René Descartes engageait à être maître et possesseur de la nature, rencontre désormais ses limites, en un épuisement de cette nature et jusqu’en un épuisement de son essence d’homme, peut-être alors convient-il aussi de changer notre vision et notre appréhension de ces êtres qui pour Descartes n’étaient que des machines en mouvement, et pour beaucoup aujourd’hui de simples stocks de viande, mais représentent sans doute une part majeure de notre humanité même.
A lire: Adieu Goulsary ( qui met en scène le cheval, compagnon d’une vie, d’un berger, récemment réédité aux Editions du Rocher), Il fut un blanc navire (où il y a une déchéance à tuer pour sa viande un animal sacré, Editions Phébus ), Une journée plus longue qu’un siècle ( dont l’un des personnages est un chameau indomptable), Les rêves de la louve. Ces deux derniers livres sont épuisés, très recherchés en occasion, mais disponibles en bibliothèque publique, en tout cas à Bruxelles.
Xavier Vanandruel
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