Dîner à regret dans un ciel persan, bleu mais communiste/féministe
30062013La veille des élections en Iran, juin 2013.
Sur son cheval de pierre, Albert regarde tristement Élisabeth. Le boulevard de l’Empereur les sépare depuis longtemps. Le roi a revêtu son casque de pierre car il sent la menace, une plate-forme à 50 mètres au-dessus de lui. Sagace, il se dit : cible parfaite pour tous les –ismes terroristes. Le roi chevalier regarde la reine artiste qui, elle, sourit : à ses pieds, un cercle de femmes animées et dansantes devant un léger kiosque de toile. C’est bientôt la foire du Midi se dit Albert mais c’est encore et toujours la foire des nantis : là-haut, sur la plate-forme de fer, 20 hommes et femmes mangent, harnachés à des fauteuils d’auto-scooter. C’est tendance. Un nouveau concept. Le roi Albert se rappelle qu’il fut sans terre, acculé à la mer, quand il regarde à ses pieds le Mont des Arts loué au plus offrant. Son cheval de pierre est figé devant le fleuve de chevaux vapeur métalliques. Il voudrait traverser. La reine des arts lui sourit, en face. Le roi chevalier pense aux lettres persanes en lisant les slogans sur le calicot qui flotte au vent, au pied de sa reine : « Le vote des femmes : pour renverser le régime de la République islamique en Iran ! Le choix des femmes : Un monde sans oppression et exploitation ! ». La reine musicienne de pierre sourit en considérant le porte-voix en triangle dont l’un des côtés, prolongé, atteint la plate-forme qui menace son roi chevalier. La voix qui sort : « Nous méritons une société où les gens auraient le droit de vivre dans la dignité, auraient le droit de manger, de travailler, et à une meilleure santé physique et morale ; où les gens auraient le droit d’être heureux ; où personne n’aurait faim… » Le roi de pierre figé comme un symbole regarde sa reine. La voix de la femme iranienne couvre le bruit des couverts, des couteaux qui menacent le roi sans terre.
Je marche sur le trottoir du boulevard de l’empereur, entre un roi et une reine de pierre, des voitures, des touristes, une manifestation joliment chorégraphiée à ma gauche : des femmes iraniennes et « dinner in the sky » en haut à ma droite… Je pense aux casseurs de pub, je me demande pourquoi la ville m’inflige le spectacle de ces managers tandis que des femmes iraniennes sans voiles protestent contre la République islamiste et contre un certain état du monde que nous partageons avec elles. Une activiste lit un discours en anglais au porte-voix et les ondulations de sa voix atteignent la plate-forme des riches. Les touristes photographient la grue et le resto suspendu. Une femme souriante s’approche de moi, me salue avec courtoisie et me tend un tract ; je lui souris à mon tour, prends cette feuille et la plie soigneusement en quatre.
Une de mes actualités à moi, c’est de travailler, à un « mois iranien » en mai 2014. Pour me préparer, je suis occupé à lire une femme écrivain iranienne, Azar Nafisi. Aujourd’hui, sur mon chemin, l’Iran féministe et communiste me fait signe. Surprenant : la ville loue cet espace très symbolique, une partie du « Mont des Arts », à une société privée et en même temps concède un espace à un groupuscule révolutionnaire qui dérange le locataire… Je m’interroge. Je pense à Freddy Thielemans sympathique zwanzeur, peintre, bourgmestre de Bruxelles. Y a-t-il derrière tout cela son sourire malicieux ?
Hugues Robaye
Catégories : Azar Nafisi, Bruxelles, ceramique, Dinner in the sky, Freddy Thielemans, litterature, organisation des femmes 8 mars