« L’espoir » de Ahmad Shamlou par Faezeh Afchary-Kord et Cécile Hecq, 8 octobre 2016, Art dans la Ville, Tournai
27092016 Commentaires : Aucun commentaire »Catégories : Ahmad Shamlou, Cécile Hecq, ceramique, Faezeh Afchary
L’exposition « Le Lointain de Près, Un Iran de jeunes graphismes », à La Maison de la Culture de Tournai (avec MaYaK comme co-organisateur), le 7 mai passé : une soirée poésie musique avec FAEZEH AFCHARY-KORD, MARIE-CHRISTINE DEGRAEVE (Conservatoire de Tournai) & TARAANEH SABA, musicienne et professeure de musique iranienne.
Sur un poème de RÛMI qui accompagne une des affiches du catalogue : « Unity builds the future », de TABEREH MOHEBI TABAN
« Tu es ici pour unir
et non séparer »
MaYaK/Phare Papier participe donc à l’organisation d’un mois iranien à Tournai, centré sur une exposition : 65 affiches de graphistes jeunes (et quelques-uns moins jeunes) qui illustrent la vie culturelle d’aujourd’hui dans ce grand pays méconnu. MaYaK/Phare Papier a conçu le catalogue. Non, le livre-catalogue! Car on peut considérer cette publication comme un MaYaK hors-série, vivant de l’intérieur, avec gravité, curiosité et humour.
Un texte continu accompagne ces 65 images et forme une mosaïque de petits tableaux sur la vie des Iraniens. Par ailleurs, 20 affiches d’étudiants en graphisme de l’Académie des Beaux-Arts de Tournai entrent en dialogue avec ce lointain vu de plus près. Un Iran de jeunes graphismes pour dire qu’à partir de ces images naît un Iran, pas l‘Iran car un pays, une population sont tellement multiples. J’ai préféré « graphismes » à « graphistes » pour insister sur le côté impersonnel ou supra-personnel d’une création qui déborde toujours l’individu, sur le trait ou le geste du dessinateur qui, en Iran, est presque toujours calligraphe; sur la magie et la puissance incontrôlables des images qui font sentir, percevoir, connaître d’une manière si justement irrationnelle…
Au fond, ce livre conçu en amitié avec Autour du Feu, l’atelier galerie de l’architecte et céramiste Faezeh Afchary-Kord, nous aimerions qu’il participe modestement au « rapprochement des peuples » (ça fait sourire), des sociétés civiles souvent oubliées par les sacro-saintes « actualités » et occultées par différents pouvoirs qui les utilisent plus qu’ils ne les servent.
Entourés de ces 85 belles images vivantes, nous pourrons écouter de la musique, de la poésie, une conférence sur l’architecture… Voir le programme ci-joint ! Et puis, de retour de Cannes, le grand cinéaste Abbas Kiarostami passera deux jours à Tournai.
Hugues Robaye
Il y a une affectivité mayaque. Une manière de se laisser toucher, émouvoir par l’autre, par tout ce qui n’est pas notre corps dans ses limites floues et ses extensions infinies. L’affect, comme l’action des lumières qui touchent les papiers photographiques et l’âme du maître photographe qui intervient… Dans la démarche mayaque, dans l’enquête mayaque, dans l’organisation mayaque, cette affectivité est au cœur ; il s’agit d’une certaine relation au « savoir », prudente (dans le sens aristotélicien de la prudence qui fait que la personne est attentive aux différences et se conforme à elles pour approcher avec délicatesse l’autre) ; comment en effet approcher l’autre pour le sentir, le percevoir, effleurer ses silhouettes, fixer un moment – illusoirement – ce qu’on a perçu de lui, en une expression artistique, un texte, une image, etc. ? Une affectivité mayaque, une sensibilité à la fragilité des phénomènes, une bienveillance eu égard à cette mortalité que porte chaque chose en elle. Je reste imprégné par la manière dont les Grecs appelaient les hommes « des mortels » tout comme par cette prise en considération fondamentale par le philosophe Heidegger de l’être à la mort… Phénomène : cet autre qui apparaît, que nous ne connaîtrons jamais mais en compagnie duquel nous aménageons une rencontre, un croisement éphémère. Toujours dans un hors-cadre. Sans formalisme, en essayant d’écarter les formalismes. Toujours nus. Toujours dans la vie, un savoir vital, généreux, gratuit, dans l’humour et l’amour. Écarter la peur (méditation tantrique continue, imperceptible), faire en sorte que la peur n’apparaisse même pas ; être rayonnant, être « aristocrate du soleil » (DH Lawrence) car la rencontre de l’autre devrait y porter. Être accueillant, hospitalier, amical. Dans un échange naturel d’énergies qui se partagent (taoïsme).
Sans doute les circonstances me font penser à cela : la semaine prochaine, arrive en Belgique celui qui m’a confié les archives de sa mère spirituelle, Annie Van de Wiele. Je me souviens de ce voyage à Miradoux, dans le Gers, cette « Toscane française » où s’intégraient mes pensées du moment. De Charles Oliver Cooper qui me détaillait précisément le contenu de ces caisses d’archives qu’il m’avait préparées avec soin. Archive est un mot poussiéreux qui pourtant contient tout une vie intime accessible à peu. Je remontais en Belgique et j’explorais ces documents d’où émanait une vie audacieuse qui se formaient, en ce temps d’études, devant mes yeux, la vie de la première femme à avoir fait le tour du monde en bateau, puis à avoir réalisé – avec « son capitaine » – des rêves (hors cadre) ; cette vie, une sorte de modèle, dans le sens où elle questionnait et questionne(ra) les nôtres ; un point de repère suggestif. Là, c’était dans le cadre de mon travail rémunéré que cette affectivité mayaque se faisait sentir, débordant ce cadre. Il s’agissait pour moi de recomposer la vie d’une femme que je n’avais pas connue et qui devenait une amie posthume. Je devenais un gardien de sa vitalité qui survivait à la mort, me nourrissant de ce qu’Annie avait laissé, exprimé de sa vie…
Autre circonstance englobante, le vernissage du « Lointain de Près : un Iran de jeunes graphismes » au terme de ces semaines de recherches sur les cultures perso-iraniennes, en dialogue avec Faezeh Afchary-Kord et un réseau de liens qui s’est amplifié jour après jour. Ces jours en pleine affectivité/sensibilité mayaques, où je mettais en page un catalogue livre qui jour après jour enregistrait des trouvailles visant à faire sentir ce lointain : la société civile iranienne. Le grand mage John Cowper Powys, conférencier survolté, se disait un « charlatan de la culture », de ces hommes qui vantent avec un enthousiasme communicatif des potions qui font mieux vivre, et lui, ses potions, c’était Homère, Héraclite, Thomas Hardy… qu’il incarnait dans sa parole et son corps animé, gesticulant, possédé, hors cadre académique… Je garde ce modèle précieusement. Au fond, ce travail dans la gratuité et l’amitié conjuguées est sans doute le plus important. Des soutiens, des sympathies viennent d’un peu partout et c’est comme si on inventait en contact avec toutes ces matières – que ce soit les récits de vie d’Annie ou cette récolte et composition de détails vivants qui forment au bout du livre un Iran –, c’est comme si on avait la puissance (DH Lawrence) d’inventer un monde où l’échange avec l’autre se fasse dans la tranquillité, la bienveillance, la lenteur, la surprise, l’étonnement, l’amitié, la pensée des différences et des complémentarités, dans un jardin éternel.
Hugues Robaye
La revue-livre MaYaK est au centre d’un travail inter-associatif et profondément amical et les mois qui viennent l’attestent vraiment : la semaine prochaine, concert à La Fenêtre, salle associative de Tournai, avec Bert Cools, Steve Houben, Arne Van Dongen, Fred Wilbo. Musique inédite (« Mood Music ») & réflexions sur la place de la musique dans la société, sur l’efficacité, les effets de ces ondes qui nous touchen, nous transforment, nous inspirent, nous nourrissent, installent en nous de nouveaux rythmes, de nouvelles harmonies dont notre corps jouit par la suite comme de nouvelles possibilités d’être…
Le 21 décembre 2013, rencontre à Quartiers Latins, place des Martyrs, à Bruxelles autour du périple pédestre de Xavier Vanandruel en Arménie (Une traversée de l’Arménie à pied, Phare Papier). Avec Laurence Mekhitarian (chant) et Benoit Dassy (duduk) : chant et sonorités arméniennes…
En janvier/février 2014, travail inter-associatif avec « Kogl Taaba » & « Caméra&co », au Burkina Faso : des échanges autour de l’agriculture familiale, de la richesse des terroirs, de l’autonomie des régions rurales, expo, film…
En mai 2014 : échange avec « Autour du Feu », l’association de Faezeh Afchary, architecte et céramiste iranienne : nous l’assistons dans l’organisation un « mois iranien » à Tournai, avec expo de jeunes graphistes de là-bas, work-shops de deux professeurs venus de Téhéran, rétrospective Abbas Kiarostami, en présence du réalisateur qui parraine cette manifestation. Concert et rencontres autour de l’architecture et de la poésie persanes/iraniennes. Montrer autrement ce pays, ces cultures que l’on résume trop à l’arme atomique et à la république islamiste… MaYaK s’occupera du catalogue-livre de l’expo qui révèlera plus de 40 jeunes graphistes montrant des événements de la vie culturelle en Iran.
Un document pour reprendre tout cela :
Et une bonne nouvelle de plus : l’entrée au concert est à 12/10/8 euros! Mais réservez au plus vite!
« Ils racontent une histoire ! Cette musique accompagne souvent des récits traditionnels parfois accompagnés de danse, des épopées du quotidien. Elle montre l’âme de l’Iran, par les sons qui passent de la tristesse à la joie, par des nuances de colères, d’indignation : une musique imitative. L’Iranien, le Perse peut changer de sentiment très vite ! » Behdad Babaei et Navid Afghah venaient de quitter la scène et je m’étais tourné vers Faezeh pour lui dire : « Époustouflant ! ». Le joueur de setar (petit luth à 4 cordes), Behdad, et Navid, le joueur de tombak (sorte de tambour qui ressemble au djembé) venaient d’improviser à partir de « gusheh », motifs mélodiques appartenant au « radif », une tradition musicale très ancienne, transmise oralement (et inscrite au patrimoine universel de l’UNESCO). Deux instruments mais la résonnance d’un orchestre. Une percussion aux milliers de doigts, un luth où les deux mains semblaient jouer des morceaux en dialogue.
Après ce concert à Musiekpublique (Ixelles, Bruxelles), Faezeh allait saluer les deux virtuoses qu’elle espère inviter en mai 2014 pendant l’exposition sur le jeune graphisme iranien qui devrait accueillir comme parrain Abbas Kiarostami… Un MaYaK hors série reproduira les 60 affiches exposées, chacune sera assortie d’un commentaire graphique ainsi qu’un texte en continu développant en quoi chaque texte/image montre l’Iran d’aujourd’hui.
Sans les formes que prennent les arts, sans le contact avec les personnes qui cherchent, notre vision des choses ne se réduirait-elle pas à la si fréquente insignifiance de l’ « actualité » ?
Hugues Robaye
Mariam Ashkanian Ganjah, « Epitome 1 » – embroidery – 150 cm x 150 cm
Le dimanche 16 décembre 2012, je me rends à Bruxelles en train.
Rendez-vous avec Laurence Warnier, à la gare centrale : nous nous rendons ensemble à Tour et Taxi, voir une exposition : « Unexposed » qui réunit les œuvres de 40 artistes iraniennes. La plupart de ces travaux n’ont jamais été exposés dans les musées ou galeries iraniennes en raison de la censure du régime.
J’y vais, curieuse. Sans connaître « grand-chose » de ce pays, juste un peu de ce que la « Grande Histoire » raconte (des noms, des dates et autres références politico-religieuses …).
Et des vagues idées véhiculées ici – des stéréotypes ? – …
Que sais-je donc de L’Iran ?
Et de la liberté ? Et de la censure ?
Pas grand-chose donc. Mais une envie de découvrir, oui. Autrement.
Visages et corps s’imposent à mes yeux, dans beaucoup de ces œuvres.
Dans tous leurs états : de la nudité au vêtement qui cache.
Certaines des œuvres retiennent mon attention.
Ici, des cheveux, de vrais cheveux, accrochés sur un grand cadre-miroir, où l’on se voit. Et à côté : un autre cadre, montrant la photo d’une femme – tête rasée – .
Dans cet état, elle peut paraître – sans avoir à cacher ses cheveux - ?
Faezeh Afchary-Kord (une amie de Laurence et d’Hugues, iranienne, et artiste qui réalise des porcelaines) me dit : « oui, les cheveux de la femme sont mal vus en Iran, ils ont une connotation sexuelle, ils doivent être cachés … oui »)
Là : une autre œuvre capte notre regard à Laurence et moi.
Grand format (150 cm x 150 cm). Au premier coup d’œil, difficile de déterminer ce que ça représente. Du relief, c’est évident, du souci du détail et de finesse : une multitude de petites « marques noires » sur fond blanc (écru ?) … qui forment comme une écriture ?, en cercles, multiples, se resserrant, avec, au centre, une forme – « froissée », et un creux qui se dessine, vertical. A regarder de plus près, la matière se précise: du tissu – blanc -, et des fils – noirs – , cousus. Et l’image du sexe féminin, m’apparaît évidente.
Œuvre touchante – belle et fine – où je perçois une dimension universelle : le lieu de l’identité de la femme, son lieu de conception et de naissance.
Et ces petits fils cousus évoquent en moi aussi une idée de bouche cousue – des lèvres cousues ? – la parole, l’expression, la pensée, opprimée, enfermée, censurée ? …
(Photo 1 : Mariam Ashkanian Ganjah, « Epitome 1 » – embroidery – 150 cm x 150 cm)
Encore une autre œuvre ici :
Une photo d’une femme, œuvre carrée (110/110 cm). La photo, en grand, en damier noir et blanc, cadrée « photo d’identité ». Reproduite, en multiples exemplaires, (des rouges, des noirs), plus petits, et des noms, des adresses, des cases à remplir, des gros traits rouges, – comme des chemins qui se recoupent, se croisent, en « circuit » fermé … comme un labyrinthe – pas d’issue possible – où la personne ne serait réduite qu’à une photo d’identité – où la personne, dans ce labyrinthe de gros traits au marqueur rouge, perdrait SON identité - en recherche d’identité, de liberté (un visa ? une envie de quitter son pays ?) – … quête-perdue-dans-un-espace-étriqué-trop-cadré-circuit-fermé ? – …
(Photo 2 : Mahdockht Kasaei Nasab, « I have gotten lost my own maze » – 110 cm x 110 cm)
Ce dimanche aussi, table ronde autour du théâtre en Iran : méconnu ici.
Et : « Untitled » (du 16 au 19 décembre) : des lectures publiques de pièces iraniennes, traduites en français, et portées, dites par des comédien(ne)s.
Ce dimanche, 2 lectures, j’évoque le second texte lu, qui réunit 5 femmes.
« L’espace scénique » dépouillé, pas de décors, les 5 femmes alignées devant le public, dans une pièce qui s’étire très étroite et très longue.
Huis-clos, 5 femmes, trois générations, qui s’expriment, dans cet espace: un appartement, dans une ville : les murs invisibles de cet appartement, qui s’incarnent dans les murs de la pièce étroite et longue où on se trouve, les murs qui coupent du monde extérieur, cet espace où l’on ne peut s’exprimer « librement ».
Je regarde, j’écoute, et je « sais » – ou plutôt : je sens – …
Ce que je ressens, ce que je pressens, ce que je perçois, à travers toutes les œuvres de ces 40 jeunes femmes artistes iraniennes, et ces lectures de pièces :
Pas La Grande Histoire. Non.
Mais « les petites histoires », dans la Grande.
Ce que je sens, ce que je vois, ce sont des œuvres, de jeunes femmes, qui expriment des messages forts, des vécus, des émotions.
Leurs émotions – exprimées – par elles en « huis-clos », dans un cadre oppressant – opprimant – mais par là même aussi stimulant? – … des émotions ressenties, à l’extérieur, hors leurs frontières, hors du cadre de la censure, … ressenties ce dimanche 6 décembre à Tour et Taxi, à des milliers de kilomètres du pays où ces œuvres sont nées …
La censure et les pressions exercées sur les femmes particulièrement en Iran, n’arriveraient donc pas à mettre à genou leur soif de liberté ? Les sentiments d’isolement, et d’enfermement, qui découlent logiquement de cette censure, et que peuvent éprouver ces femmes, forcent et stimulent – aussi – peut-être – leur imaginaire ?
Et à travers ces « petites histoires », ces œuvres, ces textes : des questions universelles : l’identité (féminine), la quête de liberté, le rapport au corps et à l’espace, cet espace où nous évoluons – tous – et qui aussi nous relie.
Et me fait dire - aussi – la nécessité que nous avons, de prendre conscience de cet espace, de notre environnement, et l’importance de pouvoir s’y mouvoir et s’y exprimer librement, et en harmonie avec les autres, et avec soi-même. Question d’équilibre en soi … et dans le monde ?
L’expo « Unexposed » n’est plus visible à Tour et Taxi depuis le 25 décembre… (le chef mayaque aurait pu publier plus tôt, ndlr)
Anouk Brouyère
PS : Plus d’infos sur ces pièces, ici : http://lecturesmaps.wordpress.com/16-decembre-2012/
Mahdockht Kasaei Nasab, « I have gotten lost my own maze » – 110 cm x 110 cm
Ce week-end, 19/20 mai. FAEZEH AFCHARY dans 2 lieux d’expo de céramistes.
À 1190 Forest (Bruxelles). De 10 à 18h.
CERAMIC MARKET (32 céramistes). Place Saint-Denis.
« TENDANCES » : 11 céramistes. Rue de l’eau, 56A.
En Iran, dans le peuple, la poésie est quotidienne et flux continu. En Iran, la poésie est sagesse et réconfort. La poésie est dans les corps et sort spontanément par la parole pour glorifier chaque instant de la vie.
Un homme vous bouscule dans la rue et des vers anciens (ou modernes) viennent dire ce trouble, ce manque de respect pour ton corps. Et parfois, c’est la voix du petit vendeur « pauvre » et « analphabète » qui te dit cela, témoin de l’incident. Et cet incident est oublié et un sourire plus large te revient.
J’ai compris cela quand ma chère amie, Faezeh Afchary, m’a parlé de son pays.
Et j’ai vu et senti cela dans ses porcelaines papier moulées et cuites trois fois, sur lesquelles elle écrit (après la deuxième cuisson et avec un très fin pinceau trempé dans des pigments) cette poésie du quotidien qui est nourriture du corps. Et qui fait que le monde tient.
Pour Fazy, cette inscription sur la fine terre cuite, c’était d’abord pour célébrer et rendre éternel le compagnon poète qui était mort, puis c’est devenu écrire cette parole qui traverse les âges et les soutient, parole belle, gratuite et utile des poètes persans d’hier et d’aujourd’hui.
Bol ou table, c’est le moment de se nourrir…
Porcelaine papier translucide, légère, vivante…
HR
www.afchary-kord.com
Au rez-de-chaussée d’un bâtiment scolaire – parallélépipède néogothique crénelé -, une salle de théâtre qui se voudrait un peu à l’italienne, avec comme seules rondeurs, des balcons vides, aux dorures écaillées. Salle de spectacle, chapelle ou « salle de gymnastique » baroque où sont alignées des chaises en plastique ? Je m’interroge… Je suis assis au premier rang, à côté de Faezeh Afchary, l’architecte et céramiste iranienne. Nous allons assister à la conférence inaugurale de la Faculté d’architecture de Saint-Luc/ Tournai.
Entre une femme majestueuse, en boubou de coton et foulards soigneusement ajustés. Elle est arrivée la veille de Bamako (Mali). Sans papier, pendant une heure, Aminata Traoré nous entretient. De l’ « Afrique humiliée » (selon le titre d’un de ses livres où elle met en garde tant les populations du Sud que celles du Nord contre le modèle de développement sino-américano-européen) : réquisitoire d’une voix seule ; puissante et impressionnante solitude de l’orateur dans cette nef résonante…
Puis, plaidoirie pour l’auto-détermination des peuples. Elle raconte le travail qu’elle a initié dans un quartier pauvre de Bamako, Missira, où elle s’est installée : évacuation des déchets, comblement des caniveaux, pavage ; des arbres, de l’ombre, des bancs – et les cours des maisons sont atteintes aussi de cette fièvre d’embellissement – nouveaux enduits sur les façades… Plus ambitieux : la reconstruction d’un marché qui deviendra un marché bio de produits maliens remis à l’honneur… Des dias sur grand écran : Missira, le quartier avant, après… Les hommes qui placent les dalles, les femmes qui les jointoient. Elle ne cache pas les difficultés qu’elle a rencontrées dans ce chantier récupéré par les autorités en place. L’origine : améliorer son propre trottoir. Tache d’huile : les voisins trouvent cela bien. On veut faire la même chose. Bonnes volontés, entraide, don, l’économie informelle démarre. Rues et cours se métamorphosent à peu de frais. Les gens s’asseyent sur les bancs jaunes et palabrent à l’ombre. Puis vient, bien utile, de l’argent du Luxembourg. Et les difficultés commencent…
Maintenant, sur l’écran, des images de Didiéni, petite ville où la mer rejette les immigrés maliens qui n’ont pas réussi le passage. Rejetés par leur famille qui s’est saignée pour les envoyer au paradis des Blancs et qui les voit revenir sans rien, désœuvrés. Psycho-sociologue, Aminata médite sur les conséquences de ces flux migratoires illusoires. Pourquoi partir ? Pourquoi ne pas résoudre les difficultés ici ? Sommes-nous arriérés à ce point ? Incapables de nous autodéterminer de façon durable ? Une de ses réponses, c’est un travail sur le lieu de vie. Et de commencer, avec ces immigrés refoulés et un ami architecte, la construction en terre et en voûte nubienne (toits en blocs d’adobe) de logements où ils vont trouver un gîte aéré, sans tôle ni blocs étouffants, une raison de rester ; une habitation que les autres, finalement, leur envieront… Construire et se reconstruire non ? N’est-ce pas le titre de la conférence ?
Aminata Traoré retrace aussi son parcours de « chef de tribu », de responsable de famille, avec son restaurant, son hôtellerie, ce souci des produits locaux qui disparaissent des marchés, son rejet du « bling bling africain » (selon ses mots) et du recyclage africain des produits périmés occidentaux, son intérêt premier pour les constructions en terre crue (et son combat difficile pour les faire (re)connaître et accepter par une population pauvre qui veut du « dur »), pour les enduits naturels dont les villages savent encore la composition. Elle va plus loin (non, elle est conséquente) : elle affirme et veut promouvoir une modernité proprement africaine. Modernité(s) africaine(s). Non pas copier le Nord mais croire aux et développer les ressources créatives du Sud. Dans la construction, dans la décoration, les textiles, l’aménagement des lieux de vie, l’art, l’artisanat, les cultures, dans l’art de vivre, en fait, d’échanger avec l’autre. Prolonger des traditions spécifiques revalorisées…
Il est avisé aujourd’hui de douter de tout et, en particulier, des bonnes volontés, mais quand Faezeh m’a glissé à l’oreille : « Enfin un discours… Eh bien, après avoir entendu cela, j’ai plus de courage. », je ressentais la même chose…
MaYaK : repérer des forces vives dans nos sociétés, pour vivre résolument dans le Tout, le Beau et le Bon, comme disait Goethe. Pour s’autodéterminer, pour moins dépendre d’un système qui joue de nos désirs. En janvier/février, voyage d’étude au Burkina dans le même but, pour repérer des initiatives qui vont dans ce sens et qui entrent en dialogue avec des villages qui ont conservé, plus que nous, leurs traditions. La source et sa transformation, l’équilibre local, Permanent culture, permanent agriculture au Mali, au Burkina … Et partout… Modernité burkinabè… Il y a à échanger… Et à changer les perspectives… C’était donc important de rencontrer Aminata Traoré. Comme de lire Fatema Mernissi ou Serge Latouche ou Jean Ziegler ou Pierre Gevaert ou Pierre Rabhi ou Joseph Ki-Zerbo ou Bernard Lédéa Ouédraogo…
Hugues Robaye
Aminata Traoré, Le viol de l’imaginaire et L’Afrique humiliée, Paris, Hachette (Pluriel). Un extrait de la conférence: les questions (à télécharger) : http://dl.dropbox.com/u/6642953/Aminata%20Traor%C3%A9%2017%20novembre%202011%202.MP3