Euphorie en Picardie par LAYLA NABULSI

10102018

EPblog

C’est le titre du nouveau livre sorti chez Phare Papier, le cabanon d’édition du GE! (Groupe Esthéthique!). Et le voici en bonne compagnie :-)

Euphorie en Picardie par LAYLA NABULSI, avec 14 xylogravures de JEAN-FRANCOIS VAN HAELMEERSCH.

Texte fort, coup de poing, sur les délinquances que suscite notre mode de développement dominant, le consumérisme productiviste. Une sorte de tragi-comédie qui met en scène Bonhomme Albert, petit garçon de 10 ans à qui on donnerait le bon dieu, s’il n’avait quitté la Terre, dégoûté par les hommes ;-) ; un petit garçon qui spontanément expérimente toutes les déviations possibles : /réussir/ au plus vite… Un texte qui pose sur le mode de l’humour noir tranchant la question de la cohésion sociale aujourd’hui, ou du risque de son absence…

Euphorie en Picardie, Phare Papier, 2018, 68 pages sur papier bouffant munken, 10 euros.

Commande : huguesrobaye@scarlet.be. Envoi gratuit.




« L’espoir » de Ahmad Shamlou par Faezeh Afchary-Kord et Cécile Hecq, 8 octobre 2016, Art dans la Ville, Tournai

27092016

art dans la ville 2016 avec rond




Jardins suspendus

24102015

MI 1

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Je descends du train. Il fait déjà nuit et il bruine. J’essaie de m’orienter. Des passagers se dirigent vers la fin du convoi, d’autres remontent le quai direction locomotive. Je commence par suivre les premiers. La gare a disparu. J’aperçois les lumières de la place qui la bordait naguère, me retourne et cherche des yeux le container géant qui remplace maintenant l’ancienne gare ; il fait froid. Je dois donc rebrousser chemin. Je distingue enfin la passerelle de fer qui surplombe les voies. Je monte. Ça ne glisse pas ; le plancher métallique humide est percé de minuscules cratères antidérapants. J’arrive au baraquement SNCB – infraBEL mais sur piédestal – puis en redescends. En face de moi, le périphérique engouffre son trafic bruyant dans un tunnel aux néons. Sous mes pieds, un trottoir de ciment grossier : je longe une palissade ornée d’une banderole au graphisme dynamique et contemporain : « Mons 2015, capitale de la culture, c’est par ici » (des flèches). Les gens se pressent vers l’ancienne place de l’ancienne gare. Un homme me frôle ; il me semble qu’il y a bien des obstacles à la culture, c’est comme un labyrinthe et je me pose une question grave : comment accéder à la culture ? En voiture sans doute (avec le souci de trouver une place de parking). Je continue à divaguer : et en 2016, que deviendra la culture, sera-t-elle moins capitale ? Non, les villes et les campagnes resteront en permanence des hauts (ou modestes) lieux de culture. Robert Filliou : « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art. » Je salue à ma droite les grues qui construisent la nouvelle gare pour Mons 2015, capitale de la culture (c’est par ici).

Labyrinthe fléché… Je repense à ces grands jeux au cœur de l’été, proposés aux citoyens d’ici : le labyrinthe de tournesols sur la grand place (Vincent Van Gogh a vécu et peint pas loin, mais pas ces fleurs-là, ici) et puis cette autre activité (vue sur RTL et qui occupait les rues de la Mons 2015 capitale de la culture, c’est ça) plus dans le genre d’un tableau de Magritte (ou de Serge Poliart) : il aurait montré un immense jeu de dominos, mais au lieu de représenter des pièces qui construisent un réseau, le peintre les aurait malicieusement placées à la verticale et la toile aurait fait voir l’impulsion donnée au premier domino gagner les autres s’écroulant à leur tour. Un truc dynamique qui aurait pu s’intituler : « Malaise dans la civilisation » ou prendre le titre d’un livre récent : « Comment tout peut s’effondrer. »

Je débouche enfin sur cette place sans gare, sans arrivée ni destination. La place de la culture dans nos vies : je me rappelle le penseur peul Boubacar Sadou Ly, rencontré au Burkina Faso en février passé : la culture est là sur les gens, lisible sur leur corps animé qui porte et révèle leurs expériences de vie, une culture qui rayonne à partir des corps, des rayonnements uniques, particuliers, que chacun nourrit, entretient… Je rêve, et pourtant… 

C’était aussi au cœur de l’été ; Florine m’avait parlé du « Jardin suspendu ».

Nous avions visité le lieu et depuis, il m’avait habité, et continue de le faire.

Le Jardin suspendu sur les remparts de Vauban, au-dessus de l’ancienne boulangerie militaire. Jardin suspendu, un rempart, cette fois, à ce qu’on peut appeler de façon très pratique le « consumérisme productiviste » : rempart non-violent. Un groupe de jeunes architectes (et bâtisseurs-bricoleurs) venus d’Europe (ConstructLab) a fait revivre et métamorphosé un jardin public oublié. La nature avait déjà commencé le travail, les arbres avaient proliféré et le collectif le continuait sans coupe sauvage.

Nous y étions : dans ce petit bois aux taches de lumière, résonnaient les coups de marteau, les rengaines de scie. Un parc village s’achevait : un réseau de sentiers reliait l’« île de la réunion », agora centrale en pleine lune et gradins de bois (spectacles, discussions de quartier, ateliers herbes médicinales, yoga…), au four à pain (et pizzas) ; aux jeux pour enfants ; aux ruches ; à un potager bio ; à une rangée de cabanes (logements légers, librairie d’échange, résidences d’artistes, brasserie). Des toilettes sèches un peu plus loin.

Sur mon chemin, je croise une pancarte qui me demande : « Tu sais pourquoi tu es ici ? ». Ici et même ailleurs, pourquoi ? Ici ? Je songe au Burkina, à l’espace public africain, informel et au nôtre si cadenassé (aux habitats légers, sobres et heureux, qui font peur…). Ici, sur ce piédestal en pierre de taille, tout était revisité, inventé, réinventé, repris comme depuis le début des temps, par un groupe de jeunes supervivants (mot de Chesterton). 

Une ville en miniature, un « Mons invisible », selon l’appellation que ce groupe de joyeux innovateurs avait empruntée à Italo Calvino : « Nous nous approchons peut-être d’un moment de crise de la vie urbaine et les Villes Invisibles sont un rêve qui naît au cœur des villes invivables. » Ce rêve prenait réalité et formes ici. Et je me mettais à en faire un autre : que ce qu’on appelle nos « politiques » aient un jour, enfin, eux aussi, un projet de société, de vie en commun, de partage, qui nous enthousiasmerait, aussi subtil, pensé, vivant, habité, drôle, que celui-ci (et m’apparaissait un « premier ministre » en visite dans ces jardins suspendus, curieux des formes de vie autonomes que les citoyens qu’il représente et de qui il se soucie du bonheur, mettent en œuvre). 

Chef mayaque (en uniforme de carabinier : le Jardin entre aujourd’hui en hibernation, mais rouvrira au printemps…)

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Manifeste pour un art de vivre, coûte que coûte (par les commissaires anonymes)

21102015

robert filliou Robert Filliou

En été, je passais à Mons par le  «Jardin Suspendu», un jardin public réaménagé en espace citoyen par un groupe de jeunes architectes venus de plusieurs pays d’Europe. Dans une brochure qui détaillait ce projet utopique (pourtant présent, là), je lisais ce manifeste. Ses jeunes auteurs m’ont permis de le partager. Merci. 

MANIFESTE POUR UN ART DE VIVRE, COÛTE QUE COÛTE

par Les commissaires anonymes

RICHES DE ZÈLE ET DE FOUGUE

Enfants des troubles de l’économie, nous jouissons à l’aveugle du bonheur précaire capitalisé par les générations passées. Nous n’envions ni confort ni sécurité à nos aînés. Mais nous n’avons à ce jour rien de plus à faire fructifier que nos idées. L’enjeu ne serait pas forcément d’en faire un marché, peut-être simplement un commerce de proximité. Conscients des conditions du salarié débordé ou du chercheur d’emploi surqualifié, nous tentons les acrobaties de nouveaux modes de vie. Avec ou sans filet. «Quelle époque de merde pour la jeunesse» ressassent les médias. N’en soyons pas certains. Une fois immunisés contre l’effet des lamentations nostalgiques et des crispations conservatrices, il nous reste pour sûr la fougue et le zèle. En trimeurs exaltés, tâchons d’en faire un usage décomplexé.

PÊCHE A LA TRUITE YOURSELF

II y eut la beat génération puis la « tweet » génération. Notre société contemporaine fait de nous des bavards, des impatients et des attentistes. Comment réparer un lave-linge ou pêcher une belle truite aujourd’hui ? Là est peut-être le fond du problème : notre génération n’en a massivement ni le temps, ni l’ambition. Et pourtant avec l’objectif de rendre à monsieur tout le monde sa part de maîtrise dans la production des objets et des denrées qui l’entourent, la culture Do It Yourself / Do it Together dépasse le cadre des activités déco du dimanche, toute reconnaissance gardée pour les tricots et gâteaux de mamie. Faire soi-même serait une tout autre satisfaction qu’assouvir sa consommation. Faire soi-même aujourd’hui s’apparente à un engagement militant : concevoir à nouveau la nature et la valeur des choses, prendre son temps, travailler dans une économie des moyens, partager ses connaissances et expériences sont autant de moyens de devenir à nouveau acteur de sa vie quotidienne. D’après les théories de l’artiste Robert Filliou, nous sommes tous des génies dont les talents acquis, parfois forcés, ont détrôné les intuitions innées. Nous suffirait-il d’oublier quelque talent pour tenter de se débrouiller ? 

DES ARTISTES SANS DISCIPLINE

Que signifie aujourd’hui le terme artiste ? Un travail, un statut social, un fantasme, une activité? Et si les pratiques artistiques n’étaient plus seulement la tâche de ceux qui revendiquent le titre? Activistes, humanistes, jusqu’au-boutistes, idéalistes et autres fantaisistes n’ayant que faire des dénominations, reconsidérons l’artiste en « animateur de pensée », figure qu’avait choisie Robert Filliou pour définir son engagement créateur dans des domaines divers, de l’économie à la poésie, de la spiritualité à l’éducation. Celui qui proclama que « l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art », défendit l’innocence, l’imagination, la liberté et l’intégrité comme les principales qualifications du nouvel artiste. Étendre l’art au concept de la création permanente et omniprésente fut l’œuvre de sa vie; c’était il y a bientôt cinquante ans. Il rirait de constater encore aujourd’hui les prés carrés de l’art, du design, de la mode ou de l’architecture. Si nous sommes plus que jamais conditionnés par les lois du marché, nous tentons de rester aussi indisciplinés que nos aînés.

NOUS N’AVONS QUE DU TEMPS LIBRE

Robert Filliou établit en opposition à l’économie politique, les Principes d’une Économie Poétique, non plus fondés sur des critères de rendement mais sur une nouvelle théorie de la valeur visant la création d’un nouvel «art de vivre». Il envisageait une nouvelle perception des tâches que doivent accomplir les hommes dans le développement de la société en «passant du travail comme peine au travail comme jeu ». Selon cette conception, les tâches auxquelles nous nous livrons quotidiennement se rapprocheraient d’activités ludiques spontanées, libres et gratuites et non d’une servitude jouissive ou abêtissante. La crise raréfie l’emploi et ce faisant, nous incite à préférer de nouvelles conceptions du travail à l’aliénation du labeur. Nous travaillons le dimanche mais parfois pas le jeudi. Tard le soir mais avec des amis. À l’heure où l’énoncé «je n’ai pas le temps» gangrène les journées, nous capitalisons sur la possibilité d’employer le temps à notre gré. Si nous n’avions en réalité que du temps libre… Et vous, que faites-vous dans la vie ?

VENEZ VOIR SI NOUS Y SOMMES

Nous sommes rassemblés ici sans but de fédération; seulement, nos pratiques ont en commun l’innocence volontaire de l’utopie d’aujourd’hui. Et c’est au jardin suspendu que nous proposons cette assemblée extraordinaire : l’art de vivre sera le sujet de ces quelques mois. Bienvenue à MONS INVISIBLE. [ndlr : il faudra attendre le printemps prochain pour y retourner!]

Les commissaires anonymes




Cure de silence et de nuances. Éric Fourez & Baudouin Oosterlynck

13102015

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« L’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » : Robert Filliou. Je m’en persuadais encore plus ce dimanche matin, dans la salle lumineuse d’Arrêt 59, en présence des grandes toiles blanches d’Éric Fourez & des objets expérimentaux de Baudouin Oosterlynck. « Salle d’expositions », espace de résonances, d’échanges vibratoires, espace de présence amplifiée, de présence dynamique – des forces nous atteignaient – des lignes (ou traits) de forces, aussi.

Ce jour-là – le 10 octobre – les deux artistes recevaient les visiteurs et participaient à un monde invisible de Thierry Génicot. Baudouin expliquait qu’il avait parcouru l’Europe à vélo à la recherche de lieux de silence total, où le corps physique sentant est livré à l’espace-temps, revit les origines de la présence, du sentir, et concentré, exorbité, perçoit les masses d’air et les sons des pressions atmosphériques qui le maintiennent à terre mais lui font aussi parcourir les airs. Cure de silence, cure comme soin attentif porté à un organe de la perception, à, sans doute, la plus subtile richesse dont nous disposons comme humain : les sens qui nous enracinent dans le ciel et la terre, dans une sobriété heureuse du désir : que vouloir de plus que de vivre cette présence extasiée ?

Une cure, je repense souvent à la montagne magique de Thomas Mann (où le personnage rend visite à un ami dans un sanatorium et finit par y rester) ; les montagnes magiques, les plages magiques, les ciels magiques, les carrés de prairie magique (un exemple donné par Éric Fourez : le réel devient hyper réel quand notre corps percevant se perd dans la contemplation d’un m² d’herbe, quand notre moi pesant s’oublie).

Baudouin emprisonne l’air dans des objets d’expériences reliés à nos oreilles par un stéthoscope. De la main, je presse une éprouvette close sur un objet en bois auquel sont reliées des languettes métalliques que mes ongles frôlent ; mon doigt peut tapoter une soucoupe qui précède les lamelles ; les vibrations se transmettent vers mes oreilles, concentrées par la masse d’air enclose dans l’éprouvette reliée à mes tympans par le stéthoscope. Je suis tout au son, un espace s’ouvre en moi que mon corps, mon contact créent. C’est intense, intime et large, nouveau, inattendu, il suffit de varier un peu le toucher des doigts et les vibrations infimes résonnent en moi autrement, ouvrent d’autres possibilités : la vie (vous l’aurez reconnue). Les vibrations, les sons nous occupent, comme un pays en paix devrait l’être…

Attention et concentration, extase matérielle, comme écrivait Le Clézio : Éric photographie les plages les dunes, l’estran et à partir de ces photos hyperréalistes et en en même temps minimalistes, il peint de très grandes toiles (au tissé extrêmement dense et qui donne l’impression d’une texture proche du sable ou de la poudreuse)  où sur fond « blanc », des traces apparaissent, celles laissées par la mer, chaque fois différentes selon notre position, chaque fois réorganisées par les marées. André Dhôtel écrivait que la meilleure façon de représenter un champignon, c’est l’aquarelle. Car un champignon, un désert, une dune ou une plage ne sont jamais les mêmes, changent de place, de couleur dans le moment, dans le temps, comme la vie. Il y a de quoi se sentir déplacé et vulnérable, et aimer ces présents pleins et fragiles. L’incessante mobilité des choses les plus ténues et modestes. Notre humilité bienveillante à y répondre.

Dans les très grandes toiles d’Éric, mon regard se projette se perd, ma vision est entièrement envahie par cette surface, mon corps y est comme absorbé ; mes yeux fascinés par le relief des traits de cette peinture minimaliste, hyperréaliste, un terme curieux pour ce que l’on voit, mais le peintre y tient : c’est bien là la réalité profonde, dynamique de la plage ; sa trame (et pas les chromos de vacances sursaturés!). Ramener les sens à l’origine et les laisser explorer cette espèce de chaosmos (un chaos qui s’ordonne constamment de façon éphémère) dont parle Kenneth White (Blanc…)

Faire voir la douceur des nuances de l’instant, faire entendre les vibrations infimes de l’air, c’est au fond, faire aimer la présence au monde et y ramener…

Baudouin disait que l’ « artiste » sentait quelque chose en lui qu’il devait faire sortir, sans trop savoir quoi, ni comment ; que ça venait et qu’il apprenait à se connaître à force de donner de nouvelles formes à cette nécessité. L’artiste changeait à mesure qu’il inventait, qu’il entrait en lui et en extrayait ces nécessités qu’il y sentait naître. Artiste dynamique, en gésine continuelle. Dans l’étonnement, la surprise, la crainte parfois qui se dissipait à écouter sa voix qui parlait dans ce micro de verre dont le bouchon de caoutchouc ne laissait pas passer les basses… Haute vie, haute mer, haute note !

Belle organisation d’Arrêt 59 ! Thierry Génicot interrogeait les deux artistes, aussi exigeants que modestes. Michel Voiturier les resituait dans l’histoire des arts tout en exprimant aussi leur singularité irréductible, leur démarche spécifique et les deux maîtres amicaux de s’interroger mutuellement sur l’origine de leur démarche : Éric, tu devrais raconter ton expérience du désert, des dunes, du regard, de l’égarement bénéfique, car les plages, au fond, c’est ce que tu y as retrouvé ?

Deux maîtres… On parle de « pères spirituels » ; oui, et les pères chromatiques ?

Hugues Robaye

« Par l’œil et par l’oreille » Éric Fourez & Baudouin Oosterlynck

Foyer culturel « Arrêt 59 », à Péruwelz (la ville la plus baroque de Belgique)

Du 27-9 au 8-11-2015 / www.arret59.be

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Que fais-tu au juste au Burkina ? (2)

8042015

boubacar blog2 Dori, 17 février 2015, propos de Boubacar LY.

Suite : Venons-en à longer l’abîme (tout relatif !).

« Que fais-je au juste au Burkina ? »

D’abord, sais-je « au juste » ce que je fais ? Tout au plus, des réponses en rhizomes s’élaborent en moi. Par ailleurs, je ne sens pas vraiment que le « je » « fait » quelque chose dans ces histoires expansives, ondulatoires d’amitiés, de réseaux. Les termes de la question de départ se dissolvent, même ce nom de pays est pulvérisé par les 65 ethnies sans frontières du « Burkina », par tous les petits villages, microcosmes de brousse.

« Je » ? Le corps sensible, animé, qui existe est touché par des expériences vitales, ça c’est indéniable.

Certes, je réfléchis à des projets… Mais. « Je » reste dans l’inconnu (à la rigueur). La rigueur frontale et englobante de l’inconnu… J’ai pris l’habitude de commencer par dire à mon interlocuteur africain : « Je ne comprends rien ici, mais des lumières apparaissent, des éclats que j’essaie d’assembler, d’assimiler (dans le sens alimentaire, où des nutriments s’intègrent au corps percevant)… Il y a de tels fossés de cultures, entre Blancs et Noirs, entre villageois et gens des villes, celles du nord comme celles du sud, tant de projections de part et d’autres, comment savoir ce que ressent ou pense l’autre ? Et en particulier quand nous allons au village. Il faudrait rester longtemps en brousse, y habiter, apprendre la langue, vivre simplement, se laisser apprivoiser, que l’étrangeté du blanc se fonde un peu dans le paysage.

« Faire au juste » ? Résonne en moi le proverbe peul que cite Amadou Hampaté Bâ : « Quand une chèvre est présente, il ne faut pas bêler à sa place. » Nous voilà avertis. Traduisons : le rôle de Burkimayak serait de déplacer des chèvres ! De les faire bêler ensemble à un monde voulu meilleur… Et puis, des chèvres de races différentes ont le droit de se croiser sur le chemin, de se côtoyer, non ? Les chèvres se rencontrent-elles facilement sur les terres non-clôturées du Burkina, où elles vaguent en liberté ? Rassembler des chèvres, voilà une tâche utile, peut-être, d’autant que les loups (chinois ou occidentaux) rôdent. 

Du fond de l’abyme, cet écho : la réponse tranchante de René Dumont à une question qu’on lui posait souvent : « Que peut-on faire pour eux [les Africains] ? Leur fiche la paix. » Le mot « faire », à nouveau. La réponse de l’agronome vise-t-elle les  intentions charitables sous-jacentes à cette question (que peut-on faire pour ces pauvres gens?) ? Ou plus largement, la question de l’intervention du Blanc en Afrique, car lui, après tout, intervenait, menait des projets…

Faire, avoir des projets… Nouvel écho insistant, le dialogue constituant que mène en moi depuis plus de six mois Jiddu Krishnamurti – ce penseur radical qui refuse toute autorité. Jiddu me rappelle constamment la place secondaire des projets à court ou long terme et ramène mon corps percevant au présent intégral. Être dans la société (où s’élaborent les projets) mais surtout en dehors. Mais cet écart, ce recul, font advenir d’autres relations au monde, aux vivants, sans promotion du moi, sans violence : que cette priorité du présent dense, fort, infini guide notre attitude au sein des projets auxquels nous participons. Faire : comme les ondes du caillou dans l’eau. Des projets souples, dynamiques, changeants…

Autre étrangeté : au fond, je ne reviens jamais vraiment du Burkina. Quand je rentre en Belgique, le contraste me rend de plus en plus sensible l’effroyable de la « société capitaliste de pointe » consumériste-productiviste, arrogante et violente, sur fond d’acquis (bien sûr menacés) sociaux extraordinaires (qui résultent de façon ambiguë de l’industrialisation brutale qui sous-tend ce consumérisme productiviste)… Les « horreurs économiques » : jeunes et moins jeunes « sur le marché de l’emploi », dépressionnaires à la chaîne : 20 lettres de demande de « job » (un terme volontiers employé par les hommes politiques flamands) ; une réponse, négative… Les battants et les abattus. Le marché abattoir de l’ « emploi » (être employé, utilisé, aliéné). « Créer de l’emploi », préoccupation dite majeure, alors que depuis 50 ans, des chercheurs appellent à une réflexion sur le sens du travail, puisque la technologie et les machines automatisées diminuent inéluctablement les besoins en « main d’œuvre ». Or les gens de pouvoir en sont à culpabiliser les citoyens… parce qu’ils n’ont pas de travail à leur donner… (et qu’ils ne sentent même pas qu’ils doivent encourager celui qu’ils veulent donner, celui qu’ils ressentent en eux comme nécessaire à la société dans laquelle ils vivent)… DH Lawrence fait cette différence entre le « labour » et le « work », travail qui se développe nécessairement et spontanément à partir de la force spécifique que chacun a en lui et qu’il se doit de donner au monde.

Je reviens donc de ce lointain, du Burkina avec des énergies choisies – distinguée par mon regard neuf d’étranger – qui circulent en moi. Un pays africain à l’organisation encore informelle, peu réglementée, la débrouille généralisée, les microéconomies de village à l’autosuffisance fragile ; la chaleur, le soleil, l’Harmattan ; les terroirs que les villageois connaissent encore bien, les « chemins rouges » (pistes en terre), la brousse qui enserre et fait vite oublier les villes qui ne sont qu’agglomérats fantaisistes ; l’indolence ; les hangars où l’on palabre ; l’artisanat généralisé, les savoir-faire et vivre émanant de traditions ; les corps sans graisse, droits, sains, souriants ; des recherches-actions audacieuses, des pensées pragmatiques et programmatiques inventives (comme celle de Boubacar Ly) qui se greffent sur ce substrat : des expériences qui m’incitent à approfondir ces échanges entre chèvres de races différentes…

Je reviens du Burkina et un patron des chemins de fer belge qui coûte cher déclare dans un entretien que l’usager des trains (celui qui l’honore en faisant appel aux services des employés qu’il « gère ») coûte 6900 euros par an et rapporte 3000 euros ; un premier ministre fédéral demande à des prépensionnés (qui ont donc choisi de ne plus travailler pour se reposer légitimement et aussi pour céder « la place » à des plus jeunes moins coûteux, comme on leur suggérait avant) de s’offrir à nouveau sur le marché de l’emploi et de ne pas quitter le territoire au cas où ils seraient appelés au front du travail ; cela pour soulager l’office des pensions. « Pensée », logique effroyables.

Je reviens cette année avec quelques œuvres inédites d’un sage burkinabè – Boubacar Ly. L’une d’elles : De la politique : l’homme politique : un « prestataire de service » (expression reprise avec facétie) qui doit sentir le « rêve » d’une communauté, aider cette communauté à exprimer son aspiration profonde et à la situer dans un ensemble. Doit lui montrer des voies de réalisation possibles pour ce rêve collectif… Le politique doit être sage, avoir de la hauteur, ne pas exercer de pouvoir, ne pas s’enrichir, ne pas avoir de programme mais appuyer les volontés profondes d’un groupe et celles de ses membres, car chacun a un rôle à jouer dans l’ordre cosmique qui oriente la politique humaine, lui donne sens et horizon. Boubacar Ly est une personnalité respectée, souvent interrogée par les médias burkinabè pour ses vues au-dessus de la mêlée. Nous l’avons rencontré longuement aux portes du Sahel, à Dori, dans son « école de la sagesse sur dune, entrée espérée »… La question était donc : « Que peut-on faire pour les aider ? » ?

Au Burkina, je rencontre des personnes qui vivent, travaillent, aiment, ont des enfants, des Vieux, sont dans la Nature, le temps, la mort, entre peines et joies… Des humains (comme nous). Que peut-on faire pour s’aider ? Échanger nos solutions respectives, nos inquiétudes, nos mécontentements par rapport à certaines logiques contemporaines. Rester « dans l’interrogation et le doute, dans une ardente investigation » (des termes de Jiddu Krishnamurti)…

Dans ce classique des années septante – « La pauvreté, richesse des nations » –, le Béninois Albert Tévoédjré montre que les traditions africaines ont un autre rapport au monde matériel, à la propriété et à l’opulence. Cette pauvreté, richesse des nations, elle est à rapprocher de la « sobriété heureuse » préconisée par Pierre Rabhi… Nous cherchons d’autres façons de vivre. Comment simplifier cette complication infinie de la société productiviste et consumériste ? Nous dépendons  tous d’une chaîne de production et de distribution d’une complexité inimaginable, sur laquelle repose une conception du travail infiniment fragmenté. Et cette technologie fascinante qui nous emprisonne ? Et chacun a peur de perdre sa minuscule parcelle de sécurité et de « pouvoir d’achat »… Et puis, il y a les crédits qui nous enchaînent. La Nature se meurt… Comment sortir de cela ? Ou être dedans par nécessité et défaut, tout en étant au dehors… Les sociétés africaines offrent leurs réponses à cette recherche.

Je vais là-bas à la rencontre d’Habitants Chercheurs, de Porteurs d’Espoir, d’Africains qui pensent l’essence de leur société et aimerait la développer sur cette base, conscient que cela peut constituer un modèle alternatif de développement chez eux et chez nous, « intégré » (selon une notion de Jiddu), cosmique, respectueux de la Nature et des autres.

« Porteurs d’espoir » : quand je reviens du Burkina, je me demande quel avenir se profile pour ceux qui commence à travailler, quelle perspective, quel rêve de société comme dirait Boubacar Ly ; je repense au grand économiste de terrain, EF Schumacher qui déplorait que la rentabilité s’imposât comme seul critère de départ des activités dans la société d’aujourd’hui. Quand je rentre, j’ai l’impression qu’on me recrute de force dans un mauvais, mensonger et angoissant psychodrame de crise et de croissance économique. Mais j’ai déjà 28 ans de « carrière » derrière moi et ce bonheur intuitif et sûr d’avoir un travail à faire, qui s’impose en moi, quelles que soient les conditions sociopolitiques : mes prérogatives de chef mayaque insaisissable (où sont les smileys…) ; j’ai beaucoup de chance, donc, et je me sens profondément triste et en révolte devant tous ces mensonges qui polluent les jeunes, et qui sont encouragés par des individus censés nous représenter. Dès lors, ne faut-il pas chercher et répertorier de façon systématique des voies d’ouverture, de nouvelles respirations, de meilleurs exemples, des Porteurs d’Espoir, ici et ailleurs, et confronter nos inquiétudes inventives et créatrices, nos beaux bêlements ?

Hugues Robaye




TARAANEH SABA au daf / un Iran de jeunes graphismes

10052014

36 Tahereh Mohebi Taban blog  concert iranien 7 mai 2014 fb2

L’exposition « Le Lointain de Près, Un Iran de jeunes graphismes », à La Maison de la Culture de Tournai (avec MaYaK comme co-organisateur), le 7 mai passé : une soirée poésie musique avec FAEZEH AFCHARY-KORD, MARIE-CHRISTINE DEGRAEVE (Conservatoire de Tournai) & TARAANEH SABA, musicienne et professeure de musique iranienne.

Sur un poème de RÛMI qui accompagne une des affiches du catalogue : « Unity builds the future », de TABEREH MOHEBI TABAN

« Tu es ici pour unir

et non séparer »

écouter l’extrait




Le « Par Ouï-Dire » du 25 avril 2014 (Radio Une) consacré à ANNIE VAN de WIELE

27042014

Annie & Louis sur le Hierro blog Louis & Annie Van de Wiele sur le « Hierro »

En octobre 2011, je descendais à Miradoux dans le Gers pour rencontrer Charles Oliver Cooper, l’héritier et fils spirituel d’Annie Van de Wiele, première femme à avoir fait le tour du monde en voilier (c’était dans la dernière demeure d’Annie, un antique presbytère). Charles était aussi le légataire des archives d’Annie que j’allais explorer pendant des mois.

Une exposition en a résulté (visible jusqu’au 30 avril, voir article de Xavier Vanandruel ci-dessous) ainsi qu’une émission radio réalisée par Thierry Génicot et diffusée le 25 avril passé dans l’émission « Par Ouï-Dire » de Pascale Tison. Mais plus profondément, c’est une amitié posthume qui s’est ancrée en moi admiratif devant l’audace du couple Van de Wiele toujours prêt à remettre ses acquis en jeu pour se lancer dans une nouvelle aventure cependant bien préparée…

Hugues Robaye

CLIQUEZ ICI pour écouter l’émission : Par Ouï-Dire ANNIE VAN de WIELE

dans le désert égyptien blog Dans le désert égyptien, années cinquante




Affectivité mayaque

19042014

couverture LDP 11 avril image JPEG

Il y a une affectivité mayaque. Une manière de se laisser toucher, émouvoir par l’autre, par tout ce qui n’est pas notre corps dans ses limites floues et ses extensions infinies. L’affect, comme l’action des lumières qui touchent les papiers photographiques et l’âme du maître photographe qui intervient… Dans la démarche mayaque, dans l’enquête mayaque, dans l’organisation mayaque, cette affectivité est au cœur ; il s’agit d’une certaine relation au « savoir », prudente (dans le sens aristotélicien de la prudence qui fait que la personne est attentive aux différences et se conforme à elles pour approcher avec délicatesse l’autre) ; comment en effet approcher l’autre pour le sentir, le percevoir, effleurer ses silhouettes, fixer un moment – illusoirement – ce qu’on a perçu de lui, en une expression artistique, un texte, une image, etc. ? Une affectivité mayaque, une sensibilité à la fragilité des phénomènes, une bienveillance eu égard à cette mortalité que porte chaque chose en elle. Je reste imprégné par la manière dont les Grecs appelaient les hommes « des mortels » tout comme par cette prise en considération fondamentale par le philosophe Heidegger de l’être à la mort…  Phénomène : cet autre qui apparaît, que nous ne connaîtrons jamais mais en compagnie duquel nous aménageons une rencontre, un croisement éphémère. Toujours dans un hors-cadre. Sans formalisme, en essayant d’écarter les formalismes. Toujours nus. Toujours dans la vie, un savoir vital, généreux, gratuit, dans l’humour et l’amour. Écarter la peur (méditation tantrique continue, imperceptible), faire en sorte que la peur n’apparaisse même pas ; être rayonnant, être « aristocrate du soleil » (DH Lawrence) car la rencontre de l’autre devrait y porter. Être accueillant, hospitalier, amical. Dans un échange naturel d’énergies qui se partagent (taoïsme).

Sans doute les circonstances me font penser à cela : la semaine prochaine, arrive en Belgique celui qui m’a confié les archives de sa mère spirituelle, Annie Van de Wiele. Je me souviens de ce voyage à Miradoux, dans le Gers, cette « Toscane française » où s’intégraient mes pensées du moment. De Charles Oliver Cooper qui me détaillait précisément le contenu de ces caisses d’archives qu’il m’avait préparées avec soin. Archive est un mot poussiéreux qui pourtant contient tout une vie intime accessible à peu. Je remontais en Belgique et j’explorais ces documents d’où émanait une vie audacieuse qui se formaient, en ce temps d’études, devant mes yeux, la vie de la première femme à avoir fait le tour du monde en bateau, puis à avoir réalisé – avec « son capitaine » – des rêves (hors cadre) ; cette vie, une sorte de modèle, dans le sens où elle questionnait et questionne(ra) les nôtres ; un point de repère suggestif. Là, c’était dans le cadre de mon travail rémunéré que cette affectivité mayaque se faisait sentir, débordant ce cadre. Il s’agissait pour moi de recomposer la vie d’une femme que je n’avais pas connue et qui devenait une amie posthume. Je devenais un gardien de sa vitalité qui survivait à la mort, me nourrissant de ce qu’Annie avait laissé, exprimé de sa vie…  

Autre circonstance englobante, le vernissage du « Lointain de Près : un Iran de jeunes graphismes » au terme de ces semaines de recherches sur les cultures perso-iraniennes, en dialogue avec Faezeh Afchary-Kord et un réseau de liens qui s’est amplifié jour après jour. Ces jours en pleine affectivité/sensibilité mayaques, où je mettais en page un catalogue livre qui jour après jour enregistrait des trouvailles visant à faire sentir ce lointain : la société civile iranienne. Le grand mage John Cowper Powys, conférencier survolté, se disait un « charlatan de la culture », de ces hommes qui vantent avec un enthousiasme communicatif des potions qui font mieux vivre, et lui, ses potions, c’était Homère, Héraclite, Thomas Hardy… qu’il incarnait dans sa parole et son corps animé, gesticulant, possédé, hors cadre académique… Je garde ce modèle précieusement. Au fond, ce travail dans la gratuité et l’amitié conjuguées est sans doute le plus important. Des soutiens, des sympathies viennent d’un peu partout et c’est comme si on inventait en contact avec toutes ces matières – que ce soit les récits de vie d’Annie ou cette récolte et composition de détails vivants qui forment au bout du livre un Iran –, c’est comme si on avait la puissance (DH Lawrence) d’inventer un monde où l’échange avec l’autre se fasse dans la tranquillité, la bienveillance, la lenteur, la surprise, l’étonnement, l’amitié, la pensée des différences et des complémentarités, dans un jardin éternel.

Hugues Robaye




Le récit de la servante Zerline

19012014

Zerline

Vu samedi passé Le récit de la servante Zerline pour la seconde fois, aux Martyrs, avec Jacqueline Bir (la première fois, c’était en 1987 au National je crois, avec Jeanne Moreau). Bien sûr j’ai à nouveau été transporté par le texte, extrait du roman Les irresponsables d’Hermann Broch.
Kundera rend justice à Broch dans son essai « L’art du roman », voyant chez lui « peut-être le moins connu de tous les grands romanciers du 20e siècle ». L’injustice est qu’aujourd’hui Broch est toujours peu connu, hélas bien moins que Kundera par exemple.
Pour moi je n’aurais peut-être pas fait d’études de philo si je n’avais pas lu sa trilogie Les somnambules, et je préserve toute mon admiration pour un écrivain et un penseur extraordinaire.
Mais pour qui aime tout simplement le théâtre, l’interprétation intensément habitée de Jacqueline Bir vaut déjà qu’on aille voir la pièce.

Jusqu’au 25 janvier au théâtre des Martyrs

photo de Zvonock.







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