« Unexposed » réunissait les œuvres de 40 jeunes femmes iraniennes
30122012Mariam Ashkanian Ganjah, « Epitome 1 » – embroidery – 150 cm x 150 cm
Le dimanche 16 décembre 2012, je me rends à Bruxelles en train.
Rendez-vous avec Laurence Warnier, à la gare centrale : nous nous rendons ensemble à Tour et Taxi, voir une exposition : « Unexposed » qui réunit les œuvres de 40 artistes iraniennes. La plupart de ces travaux n’ont jamais été exposés dans les musées ou galeries iraniennes en raison de la censure du régime.
J’y vais, curieuse. Sans connaître « grand-chose » de ce pays, juste un peu de ce que la « Grande Histoire » raconte (des noms, des dates et autres références politico-religieuses …).
Et des vagues idées véhiculées ici – des stéréotypes ? – …
Que sais-je donc de L’Iran ?
Et de la liberté ? Et de la censure ?
Pas grand-chose donc. Mais une envie de découvrir, oui. Autrement.
Visages et corps s’imposent à mes yeux, dans beaucoup de ces œuvres.
Dans tous leurs états : de la nudité au vêtement qui cache.
Certaines des œuvres retiennent mon attention.
Ici, des cheveux, de vrais cheveux, accrochés sur un grand cadre-miroir, où l’on se voit. Et à côté : un autre cadre, montrant la photo d’une femme – tête rasée – .
Dans cet état, elle peut paraître – sans avoir à cacher ses cheveux - ?
Faezeh Afchary-Kord (une amie de Laurence et d’Hugues, iranienne, et artiste qui réalise des porcelaines) me dit : « oui, les cheveux de la femme sont mal vus en Iran, ils ont une connotation sexuelle, ils doivent être cachés … oui »)
Là : une autre œuvre capte notre regard à Laurence et moi.
Grand format (150 cm x 150 cm). Au premier coup d’œil, difficile de déterminer ce que ça représente. Du relief, c’est évident, du souci du détail et de finesse : une multitude de petites « marques noires » sur fond blanc (écru ?) … qui forment comme une écriture ?, en cercles, multiples, se resserrant, avec, au centre, une forme – « froissée », et un creux qui se dessine, vertical. A regarder de plus près, la matière se précise: du tissu – blanc -, et des fils – noirs – , cousus. Et l’image du sexe féminin, m’apparaît évidente.
Œuvre touchante – belle et fine – où je perçois une dimension universelle : le lieu de l’identité de la femme, son lieu de conception et de naissance.
Et ces petits fils cousus évoquent en moi aussi une idée de bouche cousue – des lèvres cousues ? – la parole, l’expression, la pensée, opprimée, enfermée, censurée ? …
(Photo 1 : Mariam Ashkanian Ganjah, « Epitome 1 » – embroidery – 150 cm x 150 cm)
Encore une autre œuvre ici :
Une photo d’une femme, œuvre carrée (110/110 cm). La photo, en grand, en damier noir et blanc, cadrée « photo d’identité ». Reproduite, en multiples exemplaires, (des rouges, des noirs), plus petits, et des noms, des adresses, des cases à remplir, des gros traits rouges, – comme des chemins qui se recoupent, se croisent, en « circuit » fermé … comme un labyrinthe – pas d’issue possible – où la personne ne serait réduite qu’à une photo d’identité – où la personne, dans ce labyrinthe de gros traits au marqueur rouge, perdrait SON identité - en recherche d’identité, de liberté (un visa ? une envie de quitter son pays ?) – … quête-perdue-dans-un-espace-étriqué-trop-cadré-circuit-fermé ? – …
(Photo 2 : Mahdockht Kasaei Nasab, « I have gotten lost my own maze » – 110 cm x 110 cm)
Ce dimanche aussi, table ronde autour du théâtre en Iran : méconnu ici.
Et : « Untitled » (du 16 au 19 décembre) : des lectures publiques de pièces iraniennes, traduites en français, et portées, dites par des comédien(ne)s.
Ce dimanche, 2 lectures, j’évoque le second texte lu, qui réunit 5 femmes.
« L’espace scénique » dépouillé, pas de décors, les 5 femmes alignées devant le public, dans une pièce qui s’étire très étroite et très longue.
Huis-clos, 5 femmes, trois générations, qui s’expriment, dans cet espace: un appartement, dans une ville : les murs invisibles de cet appartement, qui s’incarnent dans les murs de la pièce étroite et longue où on se trouve, les murs qui coupent du monde extérieur, cet espace où l’on ne peut s’exprimer « librement ».
Je regarde, j’écoute, et je « sais » – ou plutôt : je sens – …
Ce que je ressens, ce que je pressens, ce que je perçois, à travers toutes les œuvres de ces 40 jeunes femmes artistes iraniennes, et ces lectures de pièces :
Pas La Grande Histoire. Non.
Mais « les petites histoires », dans la Grande.
Ce que je sens, ce que je vois, ce sont des œuvres, de jeunes femmes, qui expriment des messages forts, des vécus, des émotions.
Leurs émotions – exprimées – par elles en « huis-clos », dans un cadre oppressant – opprimant – mais par là même aussi stimulant? – … des émotions ressenties, à l’extérieur, hors leurs frontières, hors du cadre de la censure, … ressenties ce dimanche 6 décembre à Tour et Taxi, à des milliers de kilomètres du pays où ces œuvres sont nées …
La censure et les pressions exercées sur les femmes particulièrement en Iran, n’arriveraient donc pas à mettre à genou leur soif de liberté ? Les sentiments d’isolement, et d’enfermement, qui découlent logiquement de cette censure, et que peuvent éprouver ces femmes, forcent et stimulent – aussi – peut-être – leur imaginaire ?
Et à travers ces « petites histoires », ces œuvres, ces textes : des questions universelles : l’identité (féminine), la quête de liberté, le rapport au corps et à l’espace, cet espace où nous évoluons – tous – et qui aussi nous relie.
Et me fait dire - aussi – la nécessité que nous avons, de prendre conscience de cet espace, de notre environnement, et l’importance de pouvoir s’y mouvoir et s’y exprimer librement, et en harmonie avec les autres, et avec soi-même. Question d’équilibre en soi … et dans le monde ?
L’expo « Unexposed » n’est plus visible à Tour et Taxi depuis le 25 décembre… (le chef mayaque aurait pu publier plus tôt, ndlr)
Anouk Brouyère
PS : Plus d’infos sur ces pièces, ici : http://lecturesmaps.wordpress.com/16-decembre-2012/
Mahdockht Kasaei Nasab, « I have gotten lost my own maze » – 110 cm x 110 cm
Catégories : ceramique, connaitre le monde, Faezeh Afchary, Laurence Warnier, Mahdockht Kasaei Nasab, Mariam Ashkanian Ganjah