L’ange de Barlach
17082013Dans son roman autobiographique Amour et ordures, l’écrivain tchèque Ivan Klima ( cf l’évocation et l’interview de Klima dans le MaYak 6) évoque l’ange de Barlach, qu’avec son amante il voit dans la cathédrale de Güstrow, en Mecklembourg- Poméranie. Plus tard encore, quand celle-ci désespère de ce qu’elle croit être alors la vanité de son métier de sculpteur, il lui rappelle cet ange.
J’ai vu avec Sabine à Guströw l’ange qu’a sculpté Ernst Barlach. Nous étions émus. Aussi sans doute parce que pour le visage de l’ange, Barlach s’est inspiré de celui sa consoeur et amie Käthe Kollwitz, et que de celle-ci nous avions déjà été touchés plus d’une fois par les oeuvres: aux musées qui lui sont consacrés à Berlin, ou en Flandre à Koekelaere, ou, en Flandre encore, au cimetière de Vladslo. Et peut-être aussi à cause des anges du film Der Himmel über Berlin (Les ailes du désir) de Wim Wenders.
Comme Klima le rappelle, l’ange de Barlach fut retiré à la fin des années 30 parce que contraire aux valeurs du national-socialisme. Sans doute après fut-il fondu pour fabriquer des munitions et c’est un autre exemplaire, caché et sauvegardé, qui fut replacé après la guerre dans la cathédrale. Celle-ci contenait aussi lors de notre passage des panneaux rappelant la persécution des Juifs, avec cette question lancinante: est-ce que vraiment les habitants de Güstrow pouvaient prétendre qu’ils ignoraient le sort de leurs concitoyens juifs? Déjà dans la cathédrale de Rostock avions-nous pu voir une exposition d’hommage aux réfractaires et déserteurs de l’armée nazie, en grande partie fusillés. Je dois dire que cette volonté persistante de repentir des Allemands (ou plutôt d’une part de ceux-ci) force mon admiration. Les Turcs aujourd’hui se grandiraient à suivre cet exemple.
Guströw se trouve sur la piste cyclable Berlin-Copenhague. Nous avons un peu emprunté cette piste, lors d’une balade à vélo d’une semaine en Mecklembourg-Poméranie, aussi le long de la Baltique. Beaucoup de pistes pour les vélos, le long de la mer ou le long de champs peu pulvérisés, où fleurissent les coquelicots et les bleuets. De grands bois jusqu’au rivage même de la Baltique, des petites villes calmes dans cette région la moins peuplée d’Allemagne, moins encore avec l’exode dû au manque de travail, peu de circulation ou d’agression publicitaire, des soirées de douceur et de silence sur les places aux vieilles façades à pignon.
Le contraste est d’autant plus grand alors quand au retour on se retrouve, pris au dépourvu, dans un hôtel d’affaires de la partie ouest du pays. En particulier le petit déjeuner est tellement copieux, ou plutôt débordant,avec une telle débauche de cochonnailles de toutes sortes, que ne sauraient neutraliser les fruits découpés et aseptisés, que c’en devient obscène. Dans son ouvrage Le silence des bêtes, la philosophe française Elisabeth de Fontenay, associe, avec prudence mais détermination, l’abattage industriel des animaux à l’Holocauste (elle le peut bien, elle dont la famille de la mère a pour une grande partie péri à Auschwitz). Peut-être les Allemands n’achèveront-ils leur conversion que lorsqu’ils auront regardé en face leur mise à mort industrielle des animaux d’élevage.
De retour chez moi, un voisin italien, fonctionnaire à la Commission européenne, m’entendant évoquer ce voyage cycliste, demande avec ironie: la Poméranie, est-ce possible qu’on trouve le soleil là-bas? Je mets un peu de temps à comprendre le schéma de pensée : partir en voyage=partir en vacances=partir à la recherche du soleil <-> Poméranie??? Je réponds platement: nous avons eu de la chance, il a fait beau tout le temps. Mais il s’est déjà écarté.
Xavier Vanandruel
Outre l’ange de la cathédrale, on peut aussi visiter à Güstrow l’atelier de Barlach et toute proche une salle d’exposition consacrée à ses oeuvres.
Le musée Käthe Kollwitz à Berlin est situé Fasanenstrasse. 24 dans le quartier de Charlottenburg
La tour-musée Käthe Kollwitz à Koekelaere est fermée pour rénovation jusque début 2014; on a toujours accès au cimetière proche de Vladslo où se trouve la sculpture des « parents en deuil«
Catégories : Elisabeth de Fontenay, Ernst Barlach, Käthe Kollwitz, sculpture