Michel Zongo : quand filmer change le monde : « La sirène de Faso Fani »

26092016

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« Faso Fani », c’était une grande usine de pagnes située à Koudougou au Burkina Faso et qui faisait la fierté d’une ville, d’une région, d’un pays. En 2001, elle est démantelée suite aux directives du PAS, programme d’ajustement structurel, que signe le Burkina Faso et qui exige la privatisation des entreprises d’état en vue du remboursement de la dette des pays africains. Pas de repreneurs privés, on ferme. La sirène de Faso Fani faisait rêver les enfants de Koudougou.

Originaire de Koudougou, Michel Zongo tourne en 2014 un documentaire consacré aux conséquences de cette fermeture, tout en retraçant l’histoire de l’usine et de la fabrication de ces tissus traditionnels de qualité qui s’exportaient bien en même temps qu’ils affirmaient l’identité des Burkinabè. Il rencontre d’anciens travailleurs, récolte leurs témoignages, retrouve des images d’archives – officielles ou tournées par les travailleurs eux-mêmes – des émissions radio couvrant la signature du PAS (et reflétant une confiance – qui a posteriori nous semble bien naïve – en les conséquences de ce traité-diktat).

Le dimanche 25 septembre, nous assistions à la projection du documentaire à la direction générale de la coopération, avenue Ki-Zerbo, dans la cadre du festival Consom’acteurs Burkina.

Les séquences du documentaires où l’on voit les anciens travailleurs énoncer leur chagrin, leurs regrets du temps béni de l’usine sont bien émouvantes. Mais dans les premières minutes du film, des séquences montrent un vieux tisserand à son métier construit par les forgerons de la ville. Et c’est en fait la question des modes de production qui s’esquisse déjà. Industriel ou artisanal ?

Je pense immanquablement à Joseph Ki-Zerbo qui répondait dans A quand l’Afrique, à l’historien René Holenstein : certes les Africains sont en retard d’industrialisation, mais l’industrialisation est-elle un passage obligé ? Je repense à EF Schumacher, le grand économiste anglo-saxon qui prônait une « technologie intermédiaire », des moyens de productions que le travailleur pourrait acquérir lui-même, ce qui lui assurerait une autonomie d’action (pas les machines perfectionnées de Faso Fani, construites dans un contexte de production portant l’obsolescence programmée…).

Et le documentaire bascule peu à peu. Michel Zongo investigue, filme les tisserands dans les cours de Koudougou. Une séquence-charnière : le réalisateur has a dream : et si on réunissait tous ces tisserands dans un lieu pour les filmer ? Ils sont une multitude ! : son interlocutrice qui tisse rit.

Mais le dream trouve des formes dans la réalité : et si on s’associait en coopérative pour produire mieux, suggère Zongo ? Les anciens travailleurs sont séduits par cette idée qui se concrétise peu à peu pendant le tournage.

Alors, chapeau bas! L’intérêt, l’attention, l’ amour du réalisateur pour le milieu qu’il explore transforme la réalité, donne en l’occurrence l’impulsion nécessaire à la création de cette coopérative qui fonctionne aujourd’hui. Un artiste transforme le réel en même temps qu’il est dans son processus de création…

Bien sûr, ces initiatives citoyennes ont du mal à naviguer. Au cours du débat qui suit la projection, Michel Zongo déplore qu’elles ne soient pas plus soutenues par les pouvoirs publics, encore faudrait-il que ceux-ci aient une vision (à l’instar de Thomas Sankara). Il déplore aussi que les jeunes universitaires burkinabè, économistes ou juristes qui se retrouvent souvent au chômage ou employés dans des tâches subalternes, ne s’intéressent pas à ces initiatives locales, originales et passionnantes qui auraient bien besoin d’un encadrement, notamment pour écouler avantageusement les créations de ces tisserands artistes qui inventent des modèles originaux de tissus selon leur inspiration du moment. Des intellectuels qui seraient au service des travailleurs, sur le modèle de leurs aînés : le pharmacien Pando Zéphirin Dakuyo, à Banfora, organisant la médecine traditionnelle, le sociologue Bernard Lédéa Ouédraogo, à Ouahigouya, les activités rurales ou le vétérinaire Boubacar Sadou Ly, à Dori, l’élevage. Organisant mais surtout valorisant, donnant sens, donnant vision…

Je ne puis m’empêcher de penser que ces questions concernent aussi le nord qui est à la recherche d’autres modèles de développement que le consumérisme productiviste meurtrier.

Michel Zongo a réalisé récemment un documentaire sur la dégradation des sols… Et en prépare un sur la culture du coton…

Hugues Robaye

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Petit hommage au Schumacher qui ne roulait par en Formule 1

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Petit hommage au Schumacher qui ne roulait par en Formule 1 dans Bernard Lédéa Ouédraogo Schumacher21-150x150

Après avoir regardé cette vidéo, j’ai eu vraiment envie d’écrire un petit texte sur l’économiste anglais Ernst Friedrich Schumacher (1911-1977).

Ce qui m’a laissé admiratif à la lecture (pas du tout récente et qui agira toujours en moi) de Small is Beautiful, de Good work et de sa biographie (écrite par sa fille), c’est… c’est beaucoup de choses… Quelques unes parmi bien d’autres :

Qu’il replace l’économie dans une vision globale de ce que devrait, pourrait être la vie ici-bas, l’épanouissement lié de l’homme et de la nature.

Qu’il recherche dans les économies traditionnelles comme celle de l’Inde des petits marchés, et surtout celle de Gandhi, des idées fondamentales pour penser et vivre notre rapport aux choses et à la production. Qu’il soit en cela un précurseur de la « simplicité volontaire ».

Qu’il fustige le critère économique – devenu presque absolu – de la rentabilité, expliquant que, bien évidemment, ce qui relève, par exemple, du « secteur culturel » ne peut et ne doit pas être rentable, mais qu’une société qui pour des questions d’argent qui se passerait de mises en forme par la culture, se passerait par la même occasion de sens et de finalités subtiles… La culture comme mise en forme suggestive de l’expérience humaine, pas la culture de salon : la culture pour mieux vivre, cela ne doit pas être rentable : c’est un service que le « créateur » rend à sa communauté, non ? Donc le critère de rentabilité ne doit pas appliqué à toute action ou entreprise humaines…

Son concept de technologie intermédiaire : concevoir des outils facilement réparables et dont la personne soit propriétaire, sans s’endetter à vie. Un exemple : les tracteurs qu’il avait conçu pour un pays d’Afrique, légers, n’écrasant pas les sols, d’une mécanique rudimentaire et costaude et ses ouvriers qui partaient en vacances en Afrique pour montrer le maniement et expliquer comment réparer la bête de somme d’acier mais aussi et surtout pour rencontrer l’autre et ses manières de vivre. Théorie mise en pratique dans son entreprise.

Schumacher éco(no)logiste, qui montrait combien la « croissance économique » était impossible à l’infini, une question de common sense bien évidemment, tout le monde comprend cela (et là je repense à l’article de Xavier où il évoque Orwell et sa confiance en la réflexion courante des gens, en le bon sens…). Tout le monde comprend cela et pourtant…

Schumacher, soucieux de la qualité du travail (Good work, what is it ?). Du bonheur de l’homme… Et de concevoir un temps de travail réduit, une ère de « loisirs » inventifs, vivifiants.

Schumacher avec son humour anglais (voyez cette séquence vidéo), fruit de convictions tranquilles se déployant dans l’action… « Nothing to loose, a lot to give », Fela Ransome Kuti… Of course…

Je repense à Bernard Lédéa Ouédraogo, le sociologue burkinabè formé à Paris mais qui vainquit, malgré cela, la famine au Yatenga (Burkina Faso).

La recherche-action pour intensifier les rayonnements endogènes.

Hugues Robaye

La vidéo et d’autres, peu de temps avant la disparition du divin économiste:

Schumacher répond aux questions

 




Rayonnement endogène

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Rayonnement endogène dans Afrique réunion-mayaque-009-ret-blog-300x224 Deux adeptes, et des plus éminents, Jacques Faton et Xavier Vanandruel, recueillent les rares paroles du Grand Yéti mayaque.

P2100270-ret-blog-300x224 Albert Tévoédjrè dans Aminata Traore Et voici le Grand Yéti mayaque, dont les représentations sont rares. La chasseuse d’images, Nafissatou Ouédraogo, l’a capturé, depuis les sommets, relatifs, de Tiébélé (Burkina Faso)

Une anthologie du rayonnement endogène.

Comme disait Nafissatou Ouédraogo, pour commencer un projet, il faut des idées (nous avons un projet (j’en parlerai plus tard) et voici des textes-idées qui sont comme des âmes, des puissances tutélaires, des ancêtres contemporains pour animer, donner sens, perspective (s) à un projet).

Une récolte d’idées. Fruits de mes lectures pour préparer un voyage de cinq semaines au Burkina Faso (début 2012). Je continue à apprendre, bien sûr, donc j’enrichirai (avec vote aide, j’espère) cette anthologie sur l’Afrique de l’Ouest qui s’aide d’elle-même.

Au cours de ce voyage, nous avons rencontré, avec Nafissatou, beaucoup de personnes : artistes, artisans, chercheurs, petits industriels, agronomes, bâtisseurs… Bien sûr, j’ai préparé mon voyage et choisi de rencontrer certaines personnes plutôt que d’autres… Mais celles que j’ai rencontrées m’ont semblé proches (en fait en avance sur…) de nos mouvements les plus lucides, ici au Nord : écologistes de terrain et permaculteurs, adeptes de la sobriété heureuse comme dirait Pierre Rabhi ou de la pauvreté/ richesse des peuples (Albert Tévoédjrè) ; d’une pauvreté célébrée par d’anciennes cultures et que des cultures contemporaines oublieuses réduisent au mot de « misère » (Majid Rahnema). La « modernité africaine » (Aminata Traoré), j’ai trouvé qu’elle avait beaucoup à m’apprendre et je crois, à nous apprendre. Elle est implantée dans des régions où les cultures et les différents savoirs traditionnels sont encore bien vivants et où le plus souvent la terre est encore cultivée avec respect…

Et pensons, comme Bernard Lédéa Ouédraogo l’écrit, lui qui a initié ce formidable réseau d’animateurs de village, que les traditions ne sont pas figées et que si l’on parle avec le respect qui lui est dû au villageois, on peut « développer sans abîmer ».

Et puis, plutôt que de développement, parlons de rayonnement…

Voilà je vous livre ce modeste assemblage de textes en deux versions : une en doubles pages pour lire sur l’ordi, l’autre en pages simples pour imprimer en R/V.

Pourriez-vous attendre 15 ans avant de la lire ? Le temps que je sorte de prison, pour cette violation évidente des droits d’auteurs…

Mais bon, cool!

Hugues Robaye

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Quand les Évolués reconnaissent bien volontiers les mérites des Villageois

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Les « Évolués », ce sont donc les Africains qui ont adopté l’éducation des Blancs ; on les appelle de façon plus moderne, aujourd’hui, les « bounty » ou « les noix de coco », noirs à l’extérieur, blancs en dedans… Phénomène analogue en Asie ; on parle alors de « bananes ». Pour les Nègres blancs (évolués) dans mon genre, il faut se gratter pour trouver une métaphore appropriée ; une espèce de mille-feuille avec farines blanches et complètes qui se succéderaient ? On devrait sans doute tous réfléchir à nos couches d’acculturations… 

Sociologue marocaine vivant à Casablanca, Fatema Mernissi se rend dans des villages berbères du Haut-Atlas. Elle fait une enquête sur des ONG animées par d’anciens immigrés revenus au village et qui travaillent, en dialogue avec les populations, à rendre meilleures leurs conditions de vie. Puits, électricité, mise en valeur de l’industrie et de l’artisanat locaux, gestion participative des nouveaux équipements, dialogue avec les autorités qui jusqu’alors avaient négligé ces villageois berbères, etc. Good work !, se serait exclamé Ernst Friedrich Schumacher… 

Avec humour et modestie, la sociologue des villes se rend compte combien elle dépend, comme vous et moi, de l’État pour tout approvisionnement et comment ces populations des champs se débrouillent sans l’État et parviennent même à se fédérer… Il faut dire que l’un des animateurs de ces ONG est anthropologue. Et Fatema Mernissi d’insister sur le fait qu’il est important que des intellectuels (de terrain) jouent ce rôle aujourd’hui : retourner aux champs, non pas  pour prendre la place des paysans (quoique, un peu de contact avec la terre…), mais pour apporter leur savoir-faire d’Évolués, qui se déploierait dans de la recherche-action : dialoguer, évaluer les forces en présence, les volontés, les désirs, les difficultés liées à des fixations archaïques, penser une action, y participer, savoir la critiquer pour l’améliorer. La mettre en valeur par des media. Communiquer. Jouer diplomatiquement le rôle d’intermédiaire avec les autorités. 

Et même conserver, puisque la sociologue en appelle aux réalisateurs, à la télé, pour filmer ces campagnes métamorphosées, cette actualité d’espoir et aux concepteurs d’écomusée pour transmettre aux générations des traditions et savoir-faire (et ces villageois ont aussi à nous apprendre, dans nos échanges, des formes de solidarité, d’entraide et de don…), qui sont toujours bien vivants et bien utiles et apportent certainement aussi des réponses à l’impasse du méprisant modèle de développement occidental, basé sur des produits pétroliers en voie de disparition… 

Réponses rurales qui  entrent en résonance avec des formes de vie progressistes chez nous, comme la permaculture, la simplicité volontaire, l’engagement écologique… Nègres blancs, Nègres noirs, même combat… 

Une dernière dimension que Fatema Mernissi met bien en évidence : la confiance : celle que le jeune chômeur marocain surdiplômé retrouve en se mettant au service de son village natal, confiance en lui, en ses capacités, confiance des autres. La confiance, le moteur des économies vernaculaires, de ces économies de « sobriété heureuse », selon l’expression de Pierre Rabhi

De ces économies de réseaux, de proximité, de technologie intermédiaire (E. F. Schumacher)… 

Petit livre drôle, discret, exigeant, pacifiquement révolutionnaire qui en dit profond sur la vie possible, entre Sud et Nord. Je me dis toujours, il y a tant de livres ; ici, la description précise, empathique, critique d’une tentative de vie où traditions et modernités veulent s’associer. Un « projet merveilleux », comme l’appellerait DH Lawrence : qui pousse l’homme hors de lui, pour une plus dense et subtile, respectueuse et inventive insertion cosmique. 

Hugues Robaye 

 

Fatema Mernissi, ONG rurales du Haut-Atlas : les Aït-Débrouilles, Rabat/Casablanca, Marsam, 2003. 

Ernst Friedrich Schumacher, Small is beautiful : une société à la mesure de l’homme, Paris, Seuil, (Point), 1979. 

Good work, Paris, Seuil, 1980.







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