Quand les Évolués reconnaissent bien volontiers les mérites des Villageois
18112011Les « Évolués », ce sont donc les Africains qui ont adopté l’éducation des Blancs ; on les appelle de façon plus moderne, aujourd’hui, les « bounty » ou « les noix de coco », noirs à l’extérieur, blancs en dedans… Phénomène analogue en Asie ; on parle alors de « bananes ». Pour les Nègres blancs (évolués) dans mon genre, il faut se gratter pour trouver une métaphore appropriée ; une espèce de mille-feuille avec farines blanches et complètes qui se succéderaient ? On devrait sans doute tous réfléchir à nos couches d’acculturations…
Sociologue marocaine vivant à Casablanca, Fatema Mernissi se rend dans des villages berbères du Haut-Atlas. Elle fait une enquête sur des ONG animées par d’anciens immigrés revenus au village et qui travaillent, en dialogue avec les populations, à rendre meilleures leurs conditions de vie. Puits, électricité, mise en valeur de l’industrie et de l’artisanat locaux, gestion participative des nouveaux équipements, dialogue avec les autorités qui jusqu’alors avaient négligé ces villageois berbères, etc. Good work !, se serait exclamé Ernst Friedrich Schumacher…
Avec humour et modestie, la sociologue des villes se rend compte combien elle dépend, comme vous et moi, de l’État pour tout approvisionnement et comment ces populations des champs se débrouillent sans l’État et parviennent même à se fédérer… Il faut dire que l’un des animateurs de ces ONG est anthropologue. Et Fatema Mernissi d’insister sur le fait qu’il est important que des intellectuels (de terrain) jouent ce rôle aujourd’hui : retourner aux champs, non pas pour prendre la place des paysans (quoique, un peu de contact avec la terre…), mais pour apporter leur savoir-faire d’Évolués, qui se déploierait dans de la recherche-action : dialoguer, évaluer les forces en présence, les volontés, les désirs, les difficultés liées à des fixations archaïques, penser une action, y participer, savoir la critiquer pour l’améliorer. La mettre en valeur par des media. Communiquer. Jouer diplomatiquement le rôle d’intermédiaire avec les autorités.
Et même conserver, puisque la sociologue en appelle aux réalisateurs, à la télé, pour filmer ces campagnes métamorphosées, cette actualité d’espoir et aux concepteurs d’écomusée pour transmettre aux générations des traditions et savoir-faire (et ces villageois ont aussi à nous apprendre, dans nos échanges, des formes de solidarité, d’entraide et de don…), qui sont toujours bien vivants et bien utiles et apportent certainement aussi des réponses à l’impasse du méprisant modèle de développement occidental, basé sur des produits pétroliers en voie de disparition…
Réponses rurales qui entrent en résonance avec des formes de vie progressistes chez nous, comme la permaculture, la simplicité volontaire, l’engagement écologique… Nègres blancs, Nègres noirs, même combat…
Une dernière dimension que Fatema Mernissi met bien en évidence : la confiance : celle que le jeune chômeur marocain surdiplômé retrouve en se mettant au service de son village natal, confiance en lui, en ses capacités, confiance des autres. La confiance, le moteur des économies vernaculaires, de ces économies de « sobriété heureuse », selon l’expression de Pierre Rabhi.
De ces économies de réseaux, de proximité, de technologie intermédiaire (E. F. Schumacher)…
Petit livre drôle, discret, exigeant, pacifiquement révolutionnaire qui en dit profond sur la vie possible, entre Sud et Nord. Je me dis toujours, il y a tant de livres ; ici, la description précise, empathique, critique d’une tentative de vie où traditions et modernités veulent s’associer. Un « projet merveilleux », comme l’appellerait DH Lawrence : qui pousse l’homme hors de lui, pour une plus dense et subtile, respectueuse et inventive insertion cosmique.
Hugues Robaye
Fatema Mernissi, ONG rurales du Haut-Atlas : les Aït-Débrouilles, Rabat/Casablanca, Marsam, 2003.
Ernst Friedrich Schumacher, Small is beautiful : une société à la mesure de l’homme, Paris, Seuil, (Point), 1979.
Good work, Paris, Seuil, 1980.
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