« Développement » ? Endogène(s) !

2102017

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Très « intéressante », cette participation au salon du livre africain, « Lire et écrire l’Afrique », à Marchienne-au-Pont (Charleroi, Belgique), le samedi 30 septembre 2017.

Il s’agissait pour le GE ! de repenser une table d’exposition où ses activités seraient focalisées sur les échanges poursuivis au Burkina Faso, où l’ensemble du travail (11 ans de recherches, déjà) recevrait cette perspective, cet éclairage, particulier, mais infini aussi.

« Intéressant », inter esse(re), « qui est en nous, parmi nous » comme un foyer qui rayonne… Voilà comment ce mot élimé peut retrouver du sens ? Peut-être…

La notion de « développement endogène » promue par le grand historien africain JOSEPH KI-ZERBO servait de fil conducteur à cette composition/installation de documents divers.

Chaque groupe, chaque individu, chaque nation se développe selon des nécessités qui lui sont propres. Il n’y a pas le développement ;il y a autant de développements que d’organismes individuels ou collectifs, vivants… Ce qui est passionnant, c’est d’observer ces développements, de les confronter, de les penser et de les poursuivre ! C’est du moins notre optique au GE ! Phare Papier/MaYaK.

Dans nos contacts avec le Burkina et au sein de nos « recherches écophiles » – recherches aimantes sur les lieux habités – qui vont pleinement dans cette direction, dans notre regard porté sur le Burkina ou sur la Belgique (en particulier sur Lessines), il s’agit d’observer ces « développements » singuliers et de mettre en relation ceux qui les incarnent : réseauter, disent mes camarades burkinabè.

Boulot passionnant – celui d’un « intellectuel », au sens Kenneth Whitien du terme – d’un humain qui compose, pense, intuitionne dans la société et avec les savoirs qu’il a reçus, de nouvelles formes, de nouvelles ententes, chaque fois retravaillées. Qui s’interroge sur les formes de sociétés ; d’être ensemble. Et qui tente, dans le cadre d’une recherche-action, de les promouvoir dans leurs singularités.

« Lire et écrire l’Afrique », c’était le thème du salon : la mini-expo imaginée pour l’occasion montrait des livres de recherches-actions de grands auteurs burkinabè ; des dépliants d’ONG et assoc qui promeuvent un développement endogène (dépliants plastifiés car précieux objets d’expo, révélateurs d’une façon de se présenter à l’autre), des manuscrits (l’un de Boubacar Sadou Ly sur la culture), des brochures dactylographiées (comme le catalogue des produits de « Phytofla », concoctés à partir de plantes médicinales par l’équipe du regretté Pando Zéphyrin Dakuyo) ; on pouvait aussi entendre les voix de ces promoteurs d’un développement choisi. Par ailleurs, la table montrait les échanges avec le village de Bendogo commencés en 2012 : peintures, photos, dessins d’enfants, documents de présentation de nos partenaires : APIL (Abdoulaye Ouédraogo) & l’association de notre ami permaculteur, Patigidsom Koalga ; enfin le court-métrage – « Villages en savane » – réalisé en collaboration avec les écoles, en un stage orchestré par François d’Assise Ouédraogo, était diffusé en continu.

La table partait de l’un des mandalas peuls que Boubacar Sadou Ly nous avait offerts et s’achevait par un autre de ces couvercles de calebasse que les femmes peules tissent, reproduisant intuitivement les rythmes du cosmos. La table restait sous le regard de ce grand universaliste fondateur de l’école de la sagesse sur dunes, à Dori, aux portes du Sahel ; le docteur Ly, soucieux que chaque développement endogène (qui se lit sur le corps de chacun de nous) entre harmonieusement, sans violence, en relation avec les autres… Un horizon…

HR

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Michel Zongo : quand filmer change le monde : « La sirène de Faso Fani »

26092016

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« Faso Fani », c’était une grande usine de pagnes située à Koudougou au Burkina Faso et qui faisait la fierté d’une ville, d’une région, d’un pays. En 2001, elle est démantelée suite aux directives du PAS, programme d’ajustement structurel, que signe le Burkina Faso et qui exige la privatisation des entreprises d’état en vue du remboursement de la dette des pays africains. Pas de repreneurs privés, on ferme. La sirène de Faso Fani faisait rêver les enfants de Koudougou.

Originaire de Koudougou, Michel Zongo tourne en 2014 un documentaire consacré aux conséquences de cette fermeture, tout en retraçant l’histoire de l’usine et de la fabrication de ces tissus traditionnels de qualité qui s’exportaient bien en même temps qu’ils affirmaient l’identité des Burkinabè. Il rencontre d’anciens travailleurs, récolte leurs témoignages, retrouve des images d’archives – officielles ou tournées par les travailleurs eux-mêmes – des émissions radio couvrant la signature du PAS (et reflétant une confiance – qui a posteriori nous semble bien naïve – en les conséquences de ce traité-diktat).

Le dimanche 25 septembre, nous assistions à la projection du documentaire à la direction générale de la coopération, avenue Ki-Zerbo, dans la cadre du festival Consom’acteurs Burkina.

Les séquences du documentaires où l’on voit les anciens travailleurs énoncer leur chagrin, leurs regrets du temps béni de l’usine sont bien émouvantes. Mais dans les premières minutes du film, des séquences montrent un vieux tisserand à son métier construit par les forgerons de la ville. Et c’est en fait la question des modes de production qui s’esquisse déjà. Industriel ou artisanal ?

Je pense immanquablement à Joseph Ki-Zerbo qui répondait dans A quand l’Afrique, à l’historien René Holenstein : certes les Africains sont en retard d’industrialisation, mais l’industrialisation est-elle un passage obligé ? Je repense à EF Schumacher, le grand économiste anglo-saxon qui prônait une « technologie intermédiaire », des moyens de productions que le travailleur pourrait acquérir lui-même, ce qui lui assurerait une autonomie d’action (pas les machines perfectionnées de Faso Fani, construites dans un contexte de production portant l’obsolescence programmée…).

Et le documentaire bascule peu à peu. Michel Zongo investigue, filme les tisserands dans les cours de Koudougou. Une séquence-charnière : le réalisateur has a dream : et si on réunissait tous ces tisserands dans un lieu pour les filmer ? Ils sont une multitude ! : son interlocutrice qui tisse rit.

Mais le dream trouve des formes dans la réalité : et si on s’associait en coopérative pour produire mieux, suggère Zongo ? Les anciens travailleurs sont séduits par cette idée qui se concrétise peu à peu pendant le tournage.

Alors, chapeau bas! L’intérêt, l’attention, l’ amour du réalisateur pour le milieu qu’il explore transforme la réalité, donne en l’occurrence l’impulsion nécessaire à la création de cette coopérative qui fonctionne aujourd’hui. Un artiste transforme le réel en même temps qu’il est dans son processus de création…

Bien sûr, ces initiatives citoyennes ont du mal à naviguer. Au cours du débat qui suit la projection, Michel Zongo déplore qu’elles ne soient pas plus soutenues par les pouvoirs publics, encore faudrait-il que ceux-ci aient une vision (à l’instar de Thomas Sankara). Il déplore aussi que les jeunes universitaires burkinabè, économistes ou juristes qui se retrouvent souvent au chômage ou employés dans des tâches subalternes, ne s’intéressent pas à ces initiatives locales, originales et passionnantes qui auraient bien besoin d’un encadrement, notamment pour écouler avantageusement les créations de ces tisserands artistes qui inventent des modèles originaux de tissus selon leur inspiration du moment. Des intellectuels qui seraient au service des travailleurs, sur le modèle de leurs aînés : le pharmacien Pando Zéphirin Dakuyo, à Banfora, organisant la médecine traditionnelle, le sociologue Bernard Lédéa Ouédraogo, à Ouahigouya, les activités rurales ou le vétérinaire Boubacar Sadou Ly, à Dori, l’élevage. Organisant mais surtout valorisant, donnant sens, donnant vision…

Je ne puis m’empêcher de penser que ces questions concernent aussi le nord qui est à la recherche d’autres modèles de développement que le consumérisme productiviste meurtrier.

Michel Zongo a réalisé récemment un documentaire sur la dégradation des sols… Et en prépare un sur la culture du coton…

Hugues Robaye

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Jardins suspendus

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Je descends du train. Il fait déjà nuit et il bruine. J’essaie de m’orienter. Des passagers se dirigent vers la fin du convoi, d’autres remontent le quai direction locomotive. Je commence par suivre les premiers. La gare a disparu. J’aperçois les lumières de la place qui la bordait naguère, me retourne et cherche des yeux le container géant qui remplace maintenant l’ancienne gare ; il fait froid. Je dois donc rebrousser chemin. Je distingue enfin la passerelle de fer qui surplombe les voies. Je monte. Ça ne glisse pas ; le plancher métallique humide est percé de minuscules cratères antidérapants. J’arrive au baraquement SNCB – infraBEL mais sur piédestal – puis en redescends. En face de moi, le périphérique engouffre son trafic bruyant dans un tunnel aux néons. Sous mes pieds, un trottoir de ciment grossier : je longe une palissade ornée d’une banderole au graphisme dynamique et contemporain : « Mons 2015, capitale de la culture, c’est par ici » (des flèches). Les gens se pressent vers l’ancienne place de l’ancienne gare. Un homme me frôle ; il me semble qu’il y a bien des obstacles à la culture, c’est comme un labyrinthe et je me pose une question grave : comment accéder à la culture ? En voiture sans doute (avec le souci de trouver une place de parking). Je continue à divaguer : et en 2016, que deviendra la culture, sera-t-elle moins capitale ? Non, les villes et les campagnes resteront en permanence des hauts (ou modestes) lieux de culture. Robert Filliou : « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art. » Je salue à ma droite les grues qui construisent la nouvelle gare pour Mons 2015, capitale de la culture (c’est par ici).

Labyrinthe fléché… Je repense à ces grands jeux au cœur de l’été, proposés aux citoyens d’ici : le labyrinthe de tournesols sur la grand place (Vincent Van Gogh a vécu et peint pas loin, mais pas ces fleurs-là, ici) et puis cette autre activité (vue sur RTL et qui occupait les rues de la Mons 2015 capitale de la culture, c’est ça) plus dans le genre d’un tableau de Magritte (ou de Serge Poliart) : il aurait montré un immense jeu de dominos, mais au lieu de représenter des pièces qui construisent un réseau, le peintre les aurait malicieusement placées à la verticale et la toile aurait fait voir l’impulsion donnée au premier domino gagner les autres s’écroulant à leur tour. Un truc dynamique qui aurait pu s’intituler : « Malaise dans la civilisation » ou prendre le titre d’un livre récent : « Comment tout peut s’effondrer. »

Je débouche enfin sur cette place sans gare, sans arrivée ni destination. La place de la culture dans nos vies : je me rappelle le penseur peul Boubacar Sadou Ly, rencontré au Burkina Faso en février passé : la culture est là sur les gens, lisible sur leur corps animé qui porte et révèle leurs expériences de vie, une culture qui rayonne à partir des corps, des rayonnements uniques, particuliers, que chacun nourrit, entretient… Je rêve, et pourtant… 

C’était aussi au cœur de l’été ; Florine m’avait parlé du « Jardin suspendu ».

Nous avions visité le lieu et depuis, il m’avait habité, et continue de le faire.

Le Jardin suspendu sur les remparts de Vauban, au-dessus de l’ancienne boulangerie militaire. Jardin suspendu, un rempart, cette fois, à ce qu’on peut appeler de façon très pratique le « consumérisme productiviste » : rempart non-violent. Un groupe de jeunes architectes (et bâtisseurs-bricoleurs) venus d’Europe (ConstructLab) a fait revivre et métamorphosé un jardin public oublié. La nature avait déjà commencé le travail, les arbres avaient proliféré et le collectif le continuait sans coupe sauvage.

Nous y étions : dans ce petit bois aux taches de lumière, résonnaient les coups de marteau, les rengaines de scie. Un parc village s’achevait : un réseau de sentiers reliait l’« île de la réunion », agora centrale en pleine lune et gradins de bois (spectacles, discussions de quartier, ateliers herbes médicinales, yoga…), au four à pain (et pizzas) ; aux jeux pour enfants ; aux ruches ; à un potager bio ; à une rangée de cabanes (logements légers, librairie d’échange, résidences d’artistes, brasserie). Des toilettes sèches un peu plus loin.

Sur mon chemin, je croise une pancarte qui me demande : « Tu sais pourquoi tu es ici ? ». Ici et même ailleurs, pourquoi ? Ici ? Je songe au Burkina, à l’espace public africain, informel et au nôtre si cadenassé (aux habitats légers, sobres et heureux, qui font peur…). Ici, sur ce piédestal en pierre de taille, tout était revisité, inventé, réinventé, repris comme depuis le début des temps, par un groupe de jeunes supervivants (mot de Chesterton). 

Une ville en miniature, un « Mons invisible », selon l’appellation que ce groupe de joyeux innovateurs avait empruntée à Italo Calvino : « Nous nous approchons peut-être d’un moment de crise de la vie urbaine et les Villes Invisibles sont un rêve qui naît au cœur des villes invivables. » Ce rêve prenait réalité et formes ici. Et je me mettais à en faire un autre : que ce qu’on appelle nos « politiques » aient un jour, enfin, eux aussi, un projet de société, de vie en commun, de partage, qui nous enthousiasmerait, aussi subtil, pensé, vivant, habité, drôle, que celui-ci (et m’apparaissait un « premier ministre » en visite dans ces jardins suspendus, curieux des formes de vie autonomes que les citoyens qu’il représente et de qui il se soucie du bonheur, mettent en œuvre). 

Chef mayaque (en uniforme de carabinier : le Jardin entre aujourd’hui en hibernation, mais rouvrira au printemps…)

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