MaYaK/Phare Papier/GE!, cette année 2019…

6112019

wpo5 chezl3 ceh5 Journées Wallonie Portes ouvertes, Potterée ; Chez Lucy, Lessines ; Marchienne au Pont

État des lieux mayaque…

MaYaK, la revue-livre du Groupe Esthéthique ! asbl (GE! : éthique + esthétique) existe depuis 2005 et s’est développé, tel un organisme tout au long de ces bientôt 15 années…

C’est en revenant de Slovaquie que je me suis demandé comment inventer quelque chose qui mette en valeur tout l’héritage (culturel, au sens large, vivifiant, vitafère, écrivais-je jadis) que j’avais reçu, que je recevais et recevrais selon des associations, des analogies spontanées de sens ; des rencontres qui n’allaient cesser, sauf (RIP)…

Jouer avec des formes de communication : édition, audiovisuel, expos, rencontres…

L’état providence belge m’avait encouragé à terminer mes études de philosophie ; je lui devais de rester dans ce « mécontentement joyeux » à la Krishnamurti : ne jamais se satisfaire de l’état de fait, rester un ado (un soleil qui se lève) constamment mais ne pas jouer au casse-pied de service, rayonner la force de la vie, depuis la nature (et la culture)…

Produire de l’information sensible, une/des vision(s) du monde, de comment vivre ensemble (et seul) au mieux sur cette planète. Les bonnes belles et larges réponses (petit rappel de Goethe) ne manquent pas mais les infos pullulent et il me semblait intéressant d’en associer certaines dans un esprit qu’il me plut d’appeler « mayaque », du nom de ce théâtre à Žilina (Slovaquie), un théâtre de marionnettes dont le nom signifie « phare ». Des sonorités à la fois douces et explosives (comme cette dernière consonne occlusive, telle une claque) . Et puis l’image du phare, entre terre et mer et ciel, qui lance des signaux, des repères…

Revue-livre, cabanon d’édition, audiovisuel (Muzifar records & Télémayak), expos, observatoire écophile (recherches aimantes sur les lieux habités), observatoire des rayonnements endogènes (à partir notamment du Burkina Faso (Burkimayak), mais aussi appliqué à nos régions : comment chaque communauté humaine/naturelle se développe selon ses principes à elle) : l’organisme se ramifiait et chaque branche tenait au même tronc et une circulation naissait…

Donc un état des lieux provisoire :

Un double MaYaK se prépare, consacré à la thématique : « mort, résurrection et insurrection des villages » ! Un questionnement et je pourrais ajouter un point d’interrogation à cette proposition… Serait-ce d’espaces où l’homme peut être plus en contact avec la nature (le village), où la densité de population est moindre, que viendraient, de façon privilégiée, des réactions au consumérisme productiviste ? Plusieurs conditionnels dans ce qui est déjà une question… Le village existe-t-il encore chez nous ? Qu’est-ce qu’un village ?

À cette dernière question, j’ai cherché des réponses au Burkina Faso, en janvier/février derniers ; je suis rentré avec beaucoup d’enregistrements autour de cette question du village, là-bas. Cette enquête : une base pour monter une expo compacte : textes (peu), images, sons, images animées qui déplierait une publication textes/images comportant plus d’écrit ! En préparation.

Expo et album pour introduire, dans le « village » de Flobecq, le Burkina Faso : un accord de coopération a en effet été signé des deux côtés fin 2018 et début 2019. Accord sur papier. Qu’en faire ?

L’assoc GE ! (Groupe Esthéthique!) et l’ONG burkinabè APIL (action pour la promotion des initiatives locales) sont les deux facilitateurs de cet accord. L’optique du GE ! et d’APIL : les deux pays ont des niveaux de développement très différents mais le Burkina repose toujours sur une agriculture familiale et sur ses villages, menacés, mais soutenus, par des ONG et des associations agroécologiques conscientes des méfaits de l’agriculture industrielle et chimique. Comment le village et la relation à la terre sont-ils vécus ici et là-bas ? Croiser les regards pour s’interroger sur notre présent et ses relations à l’histoire, sur le mode de développement que nous avons privilégié. Et penser l’avenir…

Ces questionnements trouvent un cadre propice au cœur d’un nouvel engagement du GE ! : dans la commission du patrimoine de Flobecq. Patrimoine naturel, humain, culturel, architectural : comment les populations diverses vivent le territoire rural de Flobecq ? Y a-t-il encore une différence fondamentale entre campagnes et villes ? La commission permet d’aborder beaucoup de sujets liés à l’habiter, aujourd’hui : géographie naturelle et humaine : un horizon de réflexion et de sensibilité infini…

L’un des projets de « COMPAFLO » est une publication dans l’esprit – mutatis mutandis, of course – de « Zadig » en France : réinventer les régions de France par le récit, par des récits de natures variées qui redonnent sens aux territoires en cette époque consumériste et parmi des discours politiques à visions courtes qui n’enchantent personne… Une sorte de MaYaK flobecquois ;-)

L’activité éditoriale récente du cabanon d’édition Phare Papier va dans le même sens.

Réédition de Delattre, Docteur de l’Intimisme, en un format différent (Delattre, conteur régional, médecin spécialiste de l’alimentation qui écrit à la fin de sa vie écourtée, une sorte de philosophie liée à la conscience intime du corps : l’intimisme.

L’homme qui dissipe la nuit : Méthodologie d’approche pour une école communautaire, de Étienne Lannoaga Zoetyandé : un manuscrit dactylographié rapporté du Burkina et édité en collaboration avec l’association Dougoura de Ouagadougou : un plaidoyer sous la forme d’un « roman pédagogique » pour convaincre les parents villageois de mettre leurs enfants à l’école : un livre qui montre le Burkina des villages…

Sortie de Nos racines Lés arpes d’el drèfe, où 4 artistes se penchent sur le destin d’arbres bientôt abattus et plus largement sur la relation de l’humain au végétal.

Sortie prochaine d’un livre de Kouam Tawa et Hervé Yamguen, Dans l’arène, qui pose sous la forme d’une suite poétique complétée de textes de réflexion la question du politique, du rôle de l’artiste dans l’expression de modèles de vivre-ensemble. Le livre vient du Cameroun contemporain mais ses interrogations concernent n’importe quel territoire.

Sambo Boly, Le village : 13 toiles : un livret consacré aux grands formats de notre ami peintre burkinabè dont une inspiration majeure consiste en l’expression des forces des villages traditionnels burkinabè.

Préparation d’un livre avec l’écrivain de Ghoy (Hainaut, commune voisine de Flobecq), François Noul, Textes à vivre, à boire et à manger : Chroniques et recettes (de vie). Ancien AS, qui fonda et pilota la ferme de réinsertion sociale « Bocace » à Marchienne au Pont : agroécologie pionnière et élevage, production locale, distribution en circuit court. François Noul fut de longues années chroniqueur au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » et collaborateur dans diverses revues. Grand cuisinier (à partir des trésors du jardin potager) lorgnant vers une relative autarcie et sobriété heureuse… Un recueil de textes, culinaires et de vie…

Patrimoine naturel : la potterée, siège social mayaque a connu cet été des fêtes, des petits-déjeuners « ting tang » pour parodier une notion contemporaine. Ting-Tang : rassembler – à la chinoise – des âmes dans un lieu inspirant : sur une colline sujette aux souffles de vent, en un jardin sauvage traversé par les lumières et les animaux : quiétude propice à l’échange d’idées sensibles. Il y eut plusieurs rencontres à la Potterée autour de ces sujets/objets d’études évoqués plus haut, dans un climat d’amitié musicale… Il y eut ainsi et aussi la visite de notre ami camerounais Hervé Yamguen, avec qui nous organisâmes plusieurs activités (notamment au « Cabaret des Oiseaux » de Marianne Uylebroeck, partenaire de pas mal d’activités, à Lessines). La potterée comme j’appelle métonymiquement la masure qui m’accueille recevait une vie nouvelle, dans le prolongement de sa participation à l’opération Wallonie portes ouvertes de l’année passée, où la maison montrait 14 années d’activités mayaques.

Les hasards de l’existence (sous toute réserve) nous amenèrent aussi, à plusieurs reprises entre Walcourt et Sivry : Walcourt : « la Petite Maison », un lieu d’expos, d’ateliers et de rencontres,créé cette année par Muriel Adam. Nous retrouvons là Philippe Michaux et ses filles qui animent « Le Chemin du Village », association de géographie humaine qui explore le bassin de la rivière Eau d’Heure ; nous y croisons les sœurs Béatrice et Marie Albert qui ont fondé « L’Ortie-Culture », où elles initient à la pratique du « jardin comestible »… Rencontre avec Agnès Marlier dont le travail consiste – au Centre culturel de Walcourt – à épauler des initiatives citoyennes, dans le cadre du projet européen « leader » (liaison entre acteurs du développement économique en milieu rural) et du « GAL Sambre et Meuse» (Groupe d’action locale). Le soutien des initiatives locales, celles que promeut APIL par une personne passionnée, dévouée et inventive

Réseaux : plus au sud, l’  « Association libre » – de Frédérique van Leuven & Thierry Génicot – pratique la permaculture et organise des rencontres autour de l’importance primordial du contact avec le jardin et la nature (j’avais la chance de pouvoir y présenter les activités mayaques liées à cette dimension).

Et puis il y a eu un campement mayaque d’importance : deux participations à la foire des livres de Lessines, Mes inscriptions (organisée par Alain Georges). Dans une boulangerie désaffectée de la Grand Rue de cette ville : chez Lucy. Une boulangerie avec pignon sur rue, larges vitrines. Une maison dont il faudrait lire l’histoire tarabiscotée, annexes, chevauchements sur la maison voisine, réaménagements… Occuper ce genre de lieu, provisoirement ; le faire renaître un jour ; l’occuper à nouveau quelques semaines après, ce fut comme un enchantement ; l’âme des maisons en peine, abandonnées… Et les Lessinois de retrouver le salon de thé qu’ils aimaient. Être en contact avec les passants timides mais curieux, les saluer et les faire entrer. MaYaK apprécie de participer à des événements de ce genre, comme aussi la journée de l’artisanat organisée à Mont sur Marchienne par l’association « Le Chemin du Village ». Relier les personnes, dépasser les milieux…

MaYaK est en quelque sorte thermodynamique ! : un ensemble en mouvement qui se réorganise en fonction des nouvelles rencontres, se reprofile et gagne en densité… Des circulations nouvelles ; des résonances inattendues. Le plaisir de vivre et de témoigner…

HR

fp1 (2) Hervé endogène journée des solidarités, Tournai ; peinture de Hervé Yamguen




Trois jours à construire, ensemble, un four à pain

25062013

 Trois jours à construire, ensemble, un four à pain dans artisanats 3img_30247-150x112    img_1296-150x112 dans autoconstruction

 

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Trois jours à construire, puis démonter (!) un four à pain.  Avec de l’argile, du sable, de la chaux, de la paille, suivant un savoir-faire accumulé pendant des siècles. Avec des briques qu’on fait sonner, chacune, avant de de les mettre en oeuvre, pour vérifier le qualité de leur cuisson. Des briques dont l’irrégularité permet d’amortir au mieux les dilatations thermiques.

In het Vlaams, met Jan, Maarten en Frieda.

Frieda, qui est conservatrice au musée de la mode à Anvers, me parle des costumes traditionnels du Maroc ou des plumassiers parisiens. Jan et Maarten, l’un cadre bancaire, l’autre charpentier, mais tous deux animés de la même énergie généreuse. Quatre équipes de quatre sous la houlette de Gerrit, infatigable dans sa défense des savoirs pratiques légués par la tradition, qu’à tort on a pu croire obsolètes, mais qui pourraient redevenir primordiaux dans pas si longtemps.

Au Museum voor de oudere technieken, à Grimbergen, dans un superbe environnement.

Et puis il y a cette expérience de l’intelligence de l’artisanat: la main portée sur les outils et les choses, le regard qui les accorde au projet poursuivi.

Voir, de Richard Sennett, l’ouvrage Ce que sait la main. Ce que beaucoup de philosophes, grands par ailleurs, n’ont pas éprouvé.

 

Xavier Vanandruel




Eugène Gaspard Marin

25032013

Eugène Gaspard Marin dans Afrique numeriser0006-1-95x150

Après quelques recherches à la commune de Boitsfort, mon ami Dirk Dumon et moi avons réussi à localiser la maison où s’était installée, en 1906, une colonie anarchiste (voir sur ce blog le billet du 27-10-2009 intitulé L’Expérience). A mon étonnement, cette colonie se situait dans ma propre rue à quatre maisons de la mienne ; pourtant, aucun habitant récent du lieu n’en avait entendu parler. La dernière personne à quitter la maison, après la dissolution de la colonie en 1908, fut l’anthropologue Eugène Gaspard Marin. Il partit pour l’Angleterre  au déclenchement de la première guerre mondiale et s’installa dans une autre colonie anarchiste, d’inspiration tolstoïenne, Whiteway, qui existe encore aujourd’hui. De 1928 à 1938, il fit seul un grand voyage, en partie à bicyclette, qui le conduisit en Égypte, en Ethiopie puis en Inde et en Birmanie (où il rencontra Gandhi et Tagore), en Chine et au Japon. Jusqu’à la fin de sa vie en 1969 il poursuivit la tâche de répertorier les savoirs pratiques (objets techniques, coutumes, idées vivifiantes) des différentes cultures du monde, cherchant à travers leur diversité une unité de sens. Ses archives sont conservées à Londres au British Museum. Il a fait l’objet d’un mémoire universitaire en Belgique (de Jacques Gillen, qui y étudie aussi la colonie L’Expérience); d’une thèse en anthropologie de la franco-canadienne Sara Pimpaneau; et d’une étude de Richard Pankhurst, directeur de l’Institut d’études éthiopiennes à Addis Abeba.

Des anarchistes comme Marin me semblent présenter un intérêt renouvelé aujourd’hui. Sa conception anthropologique est en effet fondée sur une nature humaine, partie de la nature entière, dont les objets techniques ne valent que comme les prolongements (à la différence de l’homme producteur du marxisme et aussi bien, sous cet aspect, du libéralisme, qui tous deux le voient appelé à dominer et exploiter une nature extérieure – avec le résultat aujourd’hui que celle-ci, tout comme l’humanité de l’homme, est près d’être épuisée). Pour Marin, toutes les cultures du monde présentent un égal intérêt: toutes sont des projections diverses d’une essence humaine unique, qui fait de tous les hommes des frères.

 

Le journal qu’Eugène Gaspard Marin tenait de sa vie à la colonie devrait bientôt être édité sous la supervision de Jacques Gillen.

Dirk est un peu désappointé: le matériel visuel qu’il semble possible de rassembler est trop restreint pour envisager le tournage d’un documentaire. Du moins pouvons-nous songer à consacrer à cette figure généreuse un article dans le prochain MaYaK.

Xavier Vanandruel




Venez vivre le printemps mayaque (le 21 mars, 20h05, Maison du Livre, rue de Rome, Saint-Gilles, Bruxelles)

16032013

Venez vivre le printemps mayaque (le 21 mars, 20h05, Maison du Livre, rue de Rome, Saint-Gilles, Bruxelles) dans Afrique arriere-pays_72-300x230 Siège mayaque par Muriel Logist

Rencontres autour du MaYaK 6 et du MaYaK7 en préparation
« Dons, gratuités, échanges » ainsi que des projets en cours, et il y en a…

mais nous serons brefs et rythmés !

MaYaK est la revue livre annuelle de GE !, l’association Groupe Esthéthique !

Son projet ?

Rassembler des savoirs en général cloisonnés : arts, sciences, sciences humaines, artisanats, travail social, travail de la terre… ; travailler la communication de ces savoirs ; varier les formes d’expression : essai, fiction, poésie, entretien.
Et fournir des témoignages d’expériences vécues… Tout cela à travers un travail d’édition (Phare Papier – 12 titres), des expos, un label de musique (Muzifar records), de film (télémayaque), un blog et un département burkinabè (Burkimayak).

Intervenants :
Gaëlle Faïk (Belgique-Congo), psychologue et musicothérapeute ;
Isaia Iannaccone (Italie), chimiste, sinologue et romancier ;
Jean-Claude Kangomba (Congo), écrivain et historien des Afriques ;
Sébastien Verleene (France), architecte ;
Xavier Vanandruel (Belgique), mathématicien, philosophe et écrivain (qui présentera son récit de voyage en Arménie, dernière publication de Phare Papier).

Images :
projection de Villages en savane, court-métrage réalisé en février dernier au Burkina Faso, avec douze élèves d’une école secondaire et l’association ouagalaise « Caméra & co ».

Musiques :
avec le chanteur Madi Niekiema (Burkina Faso), le percussionniste Niambé Hervé Badiel (Burkina Faso),  le joueur de duduk, Benoît Dassy (Belgique). Et un extrait de Room music, le CD accompagnant le MaYaK6, dans son nouvel arrangement pour quatuor.

Lectures :
par Vincent Radermecker, Conservatoire de Bruxelles.

Et le bar…

Renseignements complémentaires:
sur Facebook : « hugues chef mayaque »

dominos-armeniens-72-300x225 dans Arménie salutations-aux-anciens-72-300x220 dans Arne Van Dongen

equilibriste-72-300x201 dans autoconstructionDominos arméniens, salutations aux Anciens, équilibres planétaires et mayaques… Xavier Vanandruel, Ramata Nafissatou Ouédraogo, Nathalie de Vooght




André s’en va

11082012

André s'en va dans Alain Tanner Bouyer-72-blog-100x150

Allait-il emporter toute ma vie passée et l’engloutir dans la Mer Noire ? De ma fenêtre, je regardais le fleuve, le vieux pont, le soleil matinal sur le parc Arena. Septembre 1996, Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Bratislava, lecteur pour le CGRI : je prenais fonction… Un petit bureau carré : deux tables perpendiculaires, une bibliothèque vitrée où étaient gardés les « livres belges » ; une épaisse moquette brun clair, la double fenêtre à double battant qui ouvrait sur le Danube. Je prenais le climat académique avant que les cours ne commencent.

J’allais inviter Jean-Claude Pirotte que j’avais trouvé dans la bibliothèque cadenassée… J’écrivais une lettre à André Bouyer, ce professeur de « poésie » (ainsi appelait-on l’avant dernière année dans l’enseignement secondaire traditionnel) qui m’avait tant marqué, il y avait, oui, 16 ans; en 80/81… Le soleil continental de ce matin m’y engageait.

Bouyer, l’homme aux semelles divines, je le voyais s’avancer dans les couloirs du Collège Saint-Hubert (Boitsfort, Bruxelles). Complet crème, chemise blanche, boutons de manchettes, nœud papillon bordeau, gants de chamois (pour conduire sa R5), barbe finement taillée, lunettes fumées ; il semblait ne pas toucher sol. Nous étions encore « dans le traditionnel » ; l’enseignement rénové nous talonnait… Lui, Bouyer, il s’en éloignait toujours plus et mieux. À ses intercours, personne ne sortait de la classe. Parfois, il nous lisait des textes qu’il aimait (comme Platero et moi de Juan Ramon Jimenez). La douceur de sa voix rappelait la légèreté de son pas.  Ou alors il sortait un appareil à cassettes et poursuivait son histoire de la musique. Nous écoutions religieusement le concerto pour orchestre de Bela Bartók. Puis nous reprenions Virgile, Homère ou l’interprétation difficile d’un poème de Maurice Scève (subtil amateur de poésie, il avait édité une très belle anthologie). En toute délicatesse désarmante, il nous remettait constamment en contact avec une culture qui affinait nos perceptions. André Bouyer, tel un Don Quichotte sorti d’un tableau du Gréco (philosophe de formation, il nous donnait aussi histoire de l’art).

Je lui écrivais donc une lettre pour le remercier de ce don que je sentais toujours agissant en moi, 16 ans après.

Bouyer me répondit en m’envoyant un article qui reprenait quelques mots valises de son recueil du genre, Le petit illitré (paru chez Duculot). Cette haute culture qu’il magnifiait avec subtilité dans ses cours était aussi empreinte d’humour, d’amour et de tendresse.

De retour en Belgique deux ans plus tard, je le rencontrai plusieurs fois. Il organisa un jour une projection pour me montrer ses diapositives de moulins à vent, du Portugal aux Îles grecques en passant par la Hollande. J’avais appris, depuis les bancs de l’école, qu’il avait parcouru la France, débusquant les chapelles romanes, l’une après l’autre. Je m’émerveillais de voir, au ronronnement du projecteur, qu’il avait arpenté l’Europe, par monts, par vaux et par plaines, cherchant la lumière parfaite, le cadre évident pour y placer l’objet de son obsession. Au sujet de cette quête, il avait écrit un texte dense, bigarré et inclassable qui accompagnerait le beau livre d’images qu’il voulait publier. Mais pour l’heure, l’Andalousie le passionnait. Il y retournait le plus souvent possible et en rapportait des centaines de nouveaux clichés. Cet homme éminemment spiritualisé nous avait raconté jadis que le flamenco le plus originel lui remuait l’âme et qu’il le rencontrait dans les auberges andalouses les plus villageoises…

André m’écrivait parfois des lettres de sa petite écriture qui me rappelait la fragilité et l’élévation brusque des pattes des montures peintes par Dali…

Hier, j’ai extrait du ventre de la baleine (ainsi appelé-je la maison du GE !, à charpente thoracique) quatre cahiers lignés (22×29) à la couverture plastique imitant la toile Denim. « Français », « esthétique », « grec », « latin » (presque tout ce que j’ai gardé comme notes de cours en 20 ans d’études). En les manipulant, quatre photos ont glissé. Peu contrastées, brunâtres. C’était en juin 1982, je me rappelle. Le dernier cours avec Bouyer. Nous lui avions offert un cadeau. Sur l’une de ces photos, il nous fait un petit signe, de remerciement, d’adieu.

« André s’en va » comme « Paul s’en va », le dernier film d’Alain Tanner qui montre un professeur qui s’absente après avoir laissé à ses étudiants de quoi grandir (tout en restant enfants).

André, lui, est parti le 7 août.

HR

potterée-11-08-2012-005retfb-150x113 dans Andre Bouyer




Recevoir et donner

1032012

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Ce qui me frappe surtout dans le récit que Hugues fait de ses rencontres au Burkina, c’est la générosité qu’il a croisée. Tout cet engagement de personnes,   individuel  et au travers d’associations…

Dans son Essai sur le don, l’anthropologue Marcel Mauss voyait dans la triple obligation de « donner, recevoir et rendre », le socle originaire (le roc écrivait-il) de toute société humaine. Pourtant, de Thomas Hobbes à Milton Friedman, n’avons-nous pas été habitués en Occident à considérer l’homme comme un loup pour l’homme et l’individualisme possessif, la cupidité sans bornes, comme les vrais invariants anthropologiques? George Orwell, l’auteur de 1984, dont on reparle beaucoup aujourd’hui*, constatait pourtant, chez les gens ordinaires, la persistance d’une morale mesurée et ouverte à autrui, qu’il appelait common decency.

Je repensais à une telle générosité (recevoir-donner) tandis que j’écoutais, à la bibliothèque de l’espace Delvaux à Boitsfort, au milieu d’un public très réceptif,  l’intervention de deux jeunes auteurs -illustrateurs, Stéphane Ebner et Camille Nicolle. Stéphane Ebner présentait un livre,  Réserve**, où il avait recueilli des impressions de la forêt; il avait demandé à Camille d’en assurer le texte. Camille est aussi celle qui met en pages, avec Chloé Vargoz, le numéro 6 de MaYaK.

Samedi 24 mars, en présence du printemps, Camille accompagnera  dans les cités jardins de Boitsfort une promenade contée,  au son de l’accordéon, et  qui suivra un parcours visuel et poétique créé par les artistes et les participants des ateliers menés dans les bibliothèques et maisons de quartier de la commune, et auxquels elle aura collaboré ***

Xavier Vanandruel

* ses écrits sont réédités notamment aux éditions Agone en traduction française

** aux éditions Esperluète

*** départs à 14h30 et  16h30 de la place du Colibri

 




Retrouver le temps

6112011

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Je relis un  ouvrage qui me paraît parmi les plus importants aujourd’hui: Accélération :  Une critique sociale du temps, de Hartmut Rosa*. Je l’ai acquis pour essayer de trouver une réponse à ces questions: Pourquoi, si je propose aujourd’hui quelque chose à quelqu’un, la réponse la plus fréquente inclut-elle : « Je n’ai pas le temps » ? D’où vient ce sentiment, que je partage, que le temps nous manque? 

La thèse de Rosa est audacieuse : « Ce n’est pas le développement des forces productives, mais l’accroissement de la vitesse qui constitue le véritable moteur de l’histoire moderne » (p.120). Un accroissement qui prévaut aussi dans le changement social tout comme dans  le rythme de vie et, par là, dément les promesses de confort et de temps libéré  que paraissait apporter l’accélération purement technique. Sans doute se déplace-t-on plus vite et fait-on les choses plus rapidement, mais le nombre de déplacements et de  tâches à mener augmente plus vite encore.

Faut-il  voir dans cet affairement, comme le suggère en passant Rosa, après Zygmunt Bauman,  une suite à  la relégation de la religion et de sa promesse d’éternité?

Rosa note qu’un effet des formes contemporaines de cette accélération (dans les transports, la communication, dans la vie sociale et le rythme individuel de vie) est d’abolir les distances et, en définitive, l’espace comme cadre de notre existence.

On peut s’opposer à cette accélération et à ses conséquences, quand on l’interprète comme  une perte pour notre humanité. C’est le cas  de Tim Robinson, qui voit l’homme en son essence comme un être spatial, et s’est consacré à préserver de l’usure du temps les marques de ses prédécesseurs sur la terre d’Irlande qu’il habite**. C’est le cas aussi de Fabienne, formatrice en permaculture rencontrée à Lens-Saint-Rémy,  qui insiste sur le non agir qu’enseignait  le maître permaculteur japonais Manasobu Fukuoka. La permaculture, par la confiance qu’elle accorde à la nature, libère le temps. La vie en habitat groupé avec deux heures quotidiennes  de travail partagé sur la terre attenante  rend à disposition une grande quantité de temps pour soi, répète Fabienne. Et nous permet de mieux habiter l’espace local qui est le nôtre.

 À découvrir dans le prochain MaYaK  6, deuxième volume sur le thème Solitudes en sociétés.

* Hartmut Rosa, Accélération Une critique sociale du temps,  Editions de la Découverte, 2010 pour la traduction française

** et  a aussi intitulé un de ses ouvrages plus personnels My Time in Space

Xavier Vanandruel




Ivan Klima

21022011

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Lauréat du prix Franz Kafka en 2002, l’écrivain tchèque Ivan Klima a reçu l’année passée le prix Karel Capek. Philip Roth, ancien  lauréat du prix et  parmi ceux qui firent connaître Klima à l’Ouest, opposait celui-ci à Kundera, relevant « sa tendresse sans le contrôle ou la protection de l’ironie ». Pour moi qui ai été ébloui par la lecture, il y a près de vingt ans, de son roman Amour et ordures, c’est un grand bonheur qu’il ait accepté de me recevoir prochainement  à Prague et d’accorder une interview à paraître dans MaYaK. 

Dans ce roman largement autobiographique, écrit à une période où, interdit de publication, il avait revêtu la veste orange des balayeurs de Prague, Klima s’effraie des déchets matériels, mais aussi et surtout humains, que produit notre monde. Zygmunt Bauman s’en est souvenu récemment en écrivant Vies perdues.

C’est aussi dans ce roman que j’ai lu pour la première fois une dénonciation de la dégradation contemporaine du langage, un thème repris chez nous aujourd’hui tant par Annie Le Brun que par la politologue Marie-Dominique Perrot.

Klima m’apparaît encore comme un précurseur lorsque, mettant en parallèle la création artistique et l’exploitation des ressources terrestres, et considérant une certaine exténuation de l’art contemporain, il se demande s’il n’y a pas une finitude au monde des formes comme il y en a une au monde matériel, et donc là aussi des limites à la croissance.

Ivan Klima enfin s’est longuement penché sur l’oeuvre littéraire de Kafka, qui  l’a  marqué plus que toute autre . Or voici un thème proche de Solitudes en sociétés. Selon Klima en effet, le destin  de Kafka est un  déchirement  entre deux aspirations contradictoires: la peur de la solitude, le désir de rejoindre la femme aimée et par là les autres hommes; et d’autre part l’aspiration à une authenticité et une liberté qui ne pouvaient  subsister chez lui sans cette solitude. C’est dans ce déchirement que, selon Klima, s’origine toute l’inspiration de Kafka.

Ainsi j’espère sur l’actualité de ces thèmes des réponses éclairantes d’un homme qui, rescapé du camp de Terezin puis combattant l’oppression totalitaire, me paraît demeurer jusqu’à aujourd’hui une grande figure humaniste.

 Xavier Vanandruel

 Ivan Klima,  Amour et ordures (épuisé, mais trouvable en occasion); Amants d’un jour, amants d’une nuit; Esprit de Prague




L’air de la Méhaigne : Jean Tournay

7082010

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Je repensais immanquablement à ces textes de phénoménologie plus ou moins appliqués à la psychiatrie, en tout cas certainement à une compréhension souple de l’humain. Les textes de Erwin Straus, d’Henry Maldiney ou de Jacques Garelli. À ces pages qui interprètent le sens que peut avoir l’expérience, pour un chemineau, d’être perdu dans un paysage (toujours inconnu…) et de composer et recomposer, à chaque pas, une compréhension des milieux où il se trouve – et se trouve lui-même, se retrouve – provisoirement. 

Je me rappelais ces textes en lisant Air de la Méhaigne de Jean Tournay.

78 pages. 84 paragraphes répartis en cinq chapitres (nom, sources, cours médian, chutes, bifurcation) ; la méditation continue d’un homme seul qui suit le cours dela Méhaigne, rivière de 60 kilomètres qui traverse le plateau dela Hesbaye (centre-sud dela Belgique) et se jette dans la Meuse.   Chaque paragraphe est suivi d’un blanc et est comme un repère (et repaire) fugitif pour essayer de comprendre poétiquement ce qu’est une rivière (cours, sinuosités, lits, berges, faunes, flores, terrains, géologies, impressions sur le corps humain qui sent et perçoit…).  

« La carte topographique est, en l’occurrence, sans réel secours. » (p14).   Plus loin : « Qu’est-ce qu’un paysage ? Je ne cesse de me poser la question. Que voyons-nous quand nous regardons ? Rien ne sert de précipiter l’hésitante flânerie pour y répondre. » (p 56).   On est en plein dans cette « poésie » rigoureuse appliquée au chaosmos, dans cette géopoétique documentée et sensible qui tente de dire un milieu naturel où l’on se perd pour se retrouver plus libéré du moi, plus large, relié, sauvé…  Un texte dans la lignée de Kenneth White (à qui nous empruntons « chaosmos » et « géopoétique »), André Dhôtel, HD Thoreau, JC Powys, DH Lawrence, Hubert Voignier, Jean Giono, Jean-Claude Pirotte (qui est l’éditeur de cette suite musicale – Jean Tournay est, après tout, un facteur de clavicordes de renommée internationale…)…  

Et le grand géographe Elisée Reclus de renchérir… : « L’histoire d’un ruisseau, même de celui qui naît et se perd dans la mousse, est l’histoire de l’infini. »

Hugues Robaye 

Jean Tournay, Air de la Méhaigne, Paris, La Table Ronde (l’usage des jours), 2008, 12 euros 

Et le témoignage d’un ami de l’écrivain : Steve Houben, (le 2 août, à la terrasse du Crocodile de Matongé (Bruxelles)) :




Vies perdues

13042010

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Parmi les lectures qui bouleversent, jusqu’à parfois infléchir une vie, il en est qui provoquent d’abord un sentiment d’angoisse et de malaise. C’est ce sentiment-là que j’ai éprouvé à la lecture de l’essai Vies perdues du Polonais Zygmunt Bauman, le même sentiment  qui jadis m’était venu dans le musée consacré au sculpteur Wladislaw Hasior, à Zakopane. Les Polonais, peut-être plus encore que les Russes, savent exprimer une révolte métaphysique.

Ecrit dans le même style détaché, presque nonchalant, avec lequel la globalisation marchande transforme des êtres humains en rebut, l’ouvrage de Zygmunt Bauman commence par une évocation de Léonie, une des Villes invisibles d’Italo Calvino. A Léonie, les habitants ont tant la passion de la nouveauté que chaque jour ils envoient au rebut ce qui les avait séduits la veille. De la sorte, la ville finit par s’entourer d’une chaîne de montagnes de déchets indestructibles, vers  laquelle personne ne souhaite élever le regard. Comme Léonie, notre monde marchand relègue à ses frontières des déchets, avec toutefois, en plus de déchets matériels, aussi des déchets humains. Ceux-ci ne peuvent plus aujourd’hui espérer un recyclage car la globalisation marchande ne cesse de se délester de ses collaborateurs.  Et comme elle a déjà pénétré le monde entier, pas plus ne peuvent-ils être envoyés au loin, comme au temps des colonies ou des terres « vierges ». Il faut alors se résigner à leur présence improductive, et c’est le nouveau rôle de l’Etat de préserver de leur vue ou de leur odeur.

Bauman remarque que cette relégation, cette redondance déclarée d’une partie de la population s’accompagne de la disgrâce de l’éternité,  son héraut la culture et ses corrélats: la durée, l’engagement, l’oeuvre. D’après Max Scheler, cette disgrâce advint après le triomphe du divertissement, au sens pascalien, sur la conscience  de notre mortalité. Dans l’éternité, toute vie, même la plus modeste, avait un sens au moins potentiel; dans le monde liquide et éphémère d’aujourd’hui, au contraire, les formes évanouissantes du lien culturel ou social découvrent des vies nues et redondantes.

Zygmunt Bauman est aussi l’auteur d’une contribution à la livraison de printemps de la revue Entropia, revue d’étude théorique et politique de la décroissance.  Il y introduit trois personnages emblématiques. Dans la période pré-moderne règne le garde-chasse, dont le rôle est de préserver la nature, au besoin contre les braconniers ou les excès de la chasse. La période moderne voit la prévalence du jardinier, qui remodèle et humanise la nature selon ses vues. Mais dans la période postmoderne domine le chasseur: guettant ses proies, insoucieux de préserver un équilbre naturel, préoccupé seulement de la prochaine prise…

C’est à l’occasion de la sortie de ce numéro 8 d’Entropia, qu’est organisé un forum Territoires et décroissance  le 15 mai à Namur, avec trois tables rondes: 1) Subsister, protéger les biens communs 2) Habiter 3) Relocaliser

Zygmunt Bauman, Vies perdues, Rivages poche; revue Entropia, www.entropia-la-revue.org; forum Territoires et décroissances, www.grappebelgique.be

La photo en tête de ce billet a été prise en 2005 à Košice, lors des traditionnelles  »journées de la ville ». Košice fut, au Moyen Âge, un des foyers du développement européen. On voit sur la photo un (ou une?) SDF, tout pareil à ceux de chez nous, portant sur le dos cette inscription: « Aussi un travailleur slovaque est une personne humaine ».

Xavier Vanandruel







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