André s’en va

11082012

André s'en va dans Alain Tanner Bouyer-72-blog-100x150

Allait-il emporter toute ma vie passée et l’engloutir dans la Mer Noire ? De ma fenêtre, je regardais le fleuve, le vieux pont, le soleil matinal sur le parc Arena. Septembre 1996, Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Bratislava, lecteur pour le CGRI : je prenais fonction… Un petit bureau carré : deux tables perpendiculaires, une bibliothèque vitrée où étaient gardés les « livres belges » ; une épaisse moquette brun clair, la double fenêtre à double battant qui ouvrait sur le Danube. Je prenais le climat académique avant que les cours ne commencent.

J’allais inviter Jean-Claude Pirotte que j’avais trouvé dans la bibliothèque cadenassée… J’écrivais une lettre à André Bouyer, ce professeur de « poésie » (ainsi appelait-on l’avant dernière année dans l’enseignement secondaire traditionnel) qui m’avait tant marqué, il y avait, oui, 16 ans; en 80/81… Le soleil continental de ce matin m’y engageait.

Bouyer, l’homme aux semelles divines, je le voyais s’avancer dans les couloirs du Collège Saint-Hubert (Boitsfort, Bruxelles). Complet crème, chemise blanche, boutons de manchettes, nœud papillon bordeau, gants de chamois (pour conduire sa R5), barbe finement taillée, lunettes fumées ; il semblait ne pas toucher sol. Nous étions encore « dans le traditionnel » ; l’enseignement rénové nous talonnait… Lui, Bouyer, il s’en éloignait toujours plus et mieux. À ses intercours, personne ne sortait de la classe. Parfois, il nous lisait des textes qu’il aimait (comme Platero et moi de Juan Ramon Jimenez). La douceur de sa voix rappelait la légèreté de son pas.  Ou alors il sortait un appareil à cassettes et poursuivait son histoire de la musique. Nous écoutions religieusement le concerto pour orchestre de Bela Bartók. Puis nous reprenions Virgile, Homère ou l’interprétation difficile d’un poème de Maurice Scève (subtil amateur de poésie, il avait édité une très belle anthologie). En toute délicatesse désarmante, il nous remettait constamment en contact avec une culture qui affinait nos perceptions. André Bouyer, tel un Don Quichotte sorti d’un tableau du Gréco (philosophe de formation, il nous donnait aussi histoire de l’art).

Je lui écrivais donc une lettre pour le remercier de ce don que je sentais toujours agissant en moi, 16 ans après.

Bouyer me répondit en m’envoyant un article qui reprenait quelques mots valises de son recueil du genre, Le petit illitré (paru chez Duculot). Cette haute culture qu’il magnifiait avec subtilité dans ses cours était aussi empreinte d’humour, d’amour et de tendresse.

De retour en Belgique deux ans plus tard, je le rencontrai plusieurs fois. Il organisa un jour une projection pour me montrer ses diapositives de moulins à vent, du Portugal aux Îles grecques en passant par la Hollande. J’avais appris, depuis les bancs de l’école, qu’il avait parcouru la France, débusquant les chapelles romanes, l’une après l’autre. Je m’émerveillais de voir, au ronronnement du projecteur, qu’il avait arpenté l’Europe, par monts, par vaux et par plaines, cherchant la lumière parfaite, le cadre évident pour y placer l’objet de son obsession. Au sujet de cette quête, il avait écrit un texte dense, bigarré et inclassable qui accompagnerait le beau livre d’images qu’il voulait publier. Mais pour l’heure, l’Andalousie le passionnait. Il y retournait le plus souvent possible et en rapportait des centaines de nouveaux clichés. Cet homme éminemment spiritualisé nous avait raconté jadis que le flamenco le plus originel lui remuait l’âme et qu’il le rencontrait dans les auberges andalouses les plus villageoises…

André m’écrivait parfois des lettres de sa petite écriture qui me rappelait la fragilité et l’élévation brusque des pattes des montures peintes par Dali…

Hier, j’ai extrait du ventre de la baleine (ainsi appelé-je la maison du GE !, à charpente thoracique) quatre cahiers lignés (22×29) à la couverture plastique imitant la toile Denim. « Français », « esthétique », « grec », « latin » (presque tout ce que j’ai gardé comme notes de cours en 20 ans d’études). En les manipulant, quatre photos ont glissé. Peu contrastées, brunâtres. C’était en juin 1982, je me rappelle. Le dernier cours avec Bouyer. Nous lui avions offert un cadeau. Sur l’une de ces photos, il nous fait un petit signe, de remerciement, d’adieu.

« André s’en va » comme « Paul s’en va », le dernier film d’Alain Tanner qui montre un professeur qui s’absente après avoir laissé à ses étudiants de quoi grandir (tout en restant enfants).

André, lui, est parti le 7 août.

HR

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MaYaK 4, images, textes et Jacques Faton

19042009

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Le MaYaK 4 est en bonne voie. Nous en sommes à l’opération délicate et passionnante de la mise en page. À circuler dans ce numéro (le deuxième volet de « Traditions/Modernités »), à passer ainsi d’un texte à l’autre, à voir et revoir les images qui nous sont venues ; celles de la ville en terre crue de Bam, détruite par un tremblement de terre (avec l’architecte céramiste iranienne Faezeh Afchary et l’orientaliste Laurent Mignon), ou celles du jardin chinois revisité, ou de moulins d’Europe (avec l’historien de l’art André Bouyer), ou… à faire tourner toutes ces images en soi,  une sorte de cohérence apparaît, de moins en moins brumeuse. Un numéro de 160 pages !

Un exemple illustré : le cinéaste et dessinateur Jacques Faton se rend près de Düsseldorf ce lundi de Pâques (il pleut et il fait froid), à la Fondation Langen dont l’architecture a été pensée par Tadeo Ando. Il veut visiter l’expo Dubuffet. Mais les portes sont closes. Un lundi me direz-vous, et de Pâques… Évidemment, sortie de nulle part, une petite fille se promène par là et patauge dans l’eau, un appareil photo à la main. Ces circonstances (un équilibre circonstanciel ; on attendait qqch, qqch d’autre arrive ? Un équilibre circonstanciel hasardeux pourrions-nous ajouter (comme la vie ?)) deviennent de plus en plus mayaques. En rentrant, Jacques commence un travail à la plume (qui est déjà au siège de l’association). Il rythmera le MaYaK 4… 

Hugues Robaye

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