Eugène Gaspard Marin

25032013

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Après quelques recherches à la commune de Boitsfort, mon ami Dirk Dumon et moi avons réussi à localiser la maison où s’était installée, en 1906, une colonie anarchiste (voir sur ce blog le billet du 27-10-2009 intitulé L’Expérience). A mon étonnement, cette colonie se situait dans ma propre rue à quatre maisons de la mienne ; pourtant, aucun habitant récent du lieu n’en avait entendu parler. La dernière personne à quitter la maison, après la dissolution de la colonie en 1908, fut l’anthropologue Eugène Gaspard Marin. Il partit pour l’Angleterre  au déclenchement de la première guerre mondiale et s’installa dans une autre colonie anarchiste, d’inspiration tolstoïenne, Whiteway, qui existe encore aujourd’hui. De 1928 à 1938, il fit seul un grand voyage, en partie à bicyclette, qui le conduisit en Égypte, en Ethiopie puis en Inde et en Birmanie (où il rencontra Gandhi et Tagore), en Chine et au Japon. Jusqu’à la fin de sa vie en 1969 il poursuivit la tâche de répertorier les savoirs pratiques (objets techniques, coutumes, idées vivifiantes) des différentes cultures du monde, cherchant à travers leur diversité une unité de sens. Ses archives sont conservées à Londres au British Museum. Il a fait l’objet d’un mémoire universitaire en Belgique (de Jacques Gillen, qui y étudie aussi la colonie L’Expérience); d’une thèse en anthropologie de la franco-canadienne Sara Pimpaneau; et d’une étude de Richard Pankhurst, directeur de l’Institut d’études éthiopiennes à Addis Abeba.

Des anarchistes comme Marin me semblent présenter un intérêt renouvelé aujourd’hui. Sa conception anthropologique est en effet fondée sur une nature humaine, partie de la nature entière, dont les objets techniques ne valent que comme les prolongements (à la différence de l’homme producteur du marxisme et aussi bien, sous cet aspect, du libéralisme, qui tous deux le voient appelé à dominer et exploiter une nature extérieure – avec le résultat aujourd’hui que celle-ci, tout comme l’humanité de l’homme, est près d’être épuisée). Pour Marin, toutes les cultures du monde présentent un égal intérêt: toutes sont des projections diverses d’une essence humaine unique, qui fait de tous les hommes des frères.

 

Le journal qu’Eugène Gaspard Marin tenait de sa vie à la colonie devrait bientôt être édité sous la supervision de Jacques Gillen.

Dirk est un peu désappointé: le matériel visuel qu’il semble possible de rassembler est trop restreint pour envisager le tournage d’un documentaire. Du moins pouvons-nous songer à consacrer à cette figure généreuse un article dans le prochain MaYaK.

Xavier Vanandruel




L’Expérience

27102009

À la dernière réunion du groupe légumes (Gasap) de notre quartier, j’avais invité un historien local pour qu’il évoque quelques faits à propos de la colonie anarchiste qui y vécut au début du 20e siècle, après avoir été chassée de Stockel. L’Expérience -c’était le nom de cette communauté- cultivait ses légumes et faisait tourner une imprimerie. Elle proposait un cours d’espéranto, diffusait ses idées par ses publications ou encore par des représentations théâtrales. L’un de ses membres et dernier à y vivre, Eugène Gaspard Marin, fut anthropologue et grand voyageur; son oeuvre fut de classifier, à l’instar d’un naturaliste, les connaissances humaines, et d’en tirer des enseignements.

                                                  Cours d'esperanto à L'Expérience

Eugène Gaspard Marin donnant un cours d’espéranto à L’Expérience

Revenant de notre réunion, je gardais en tête ces personnes qui aspiraient, et parvenaient au moins en partie, à vivre selon des idées. Je m’interrogeais sur la situation d’aujourd’hui et me demandais ce qui avait changé. Le soir encore je finissais la lecture de L’obsolescence de l’homme* de Günther Anders. Pour le philosophe allemand émigré aux USA (qui parle, dans les années 50, de la radio et la télévision), l’âme contemporaine est toujours déjà préformée par la matrice du monde fantomatique qui vient à elle, le monde des flux médiatiques (auquel aujourd’hui il faut inclure Internet), ce monde qui a remplacé le monde réel et est devenu le lieu du vrai. C’est cela qui empêche de vivre selon des idées, non pas celles qui avancent « à pas feutrés, en excluant définitivement toute représentation d’un autre état possible, toute idée d’opposition », mais celles qui, nées sur le terreau de la sensibilité et aspirant à la justice ou à la vie bonne, affrontent la résistance du monde tel qu’il est. 

Gavée sans résistance par le monde fantomatique, l’imagination se meurt. Or beaucoup d’auteurs (dont Robert Musil, Karl Kraus, Walt Whitman, cités par Jacques Bouveresse**) voient dans l’imagination une source majeure de l’attitude morale. Pour Günthers Anders en son temps, c’est d’abord le défaut d’imagination qui empêchait de mesurer le péril atomique. J’aurais fort tendance à croire que le manque d’imagination encore, empêche  aujourd’hui  de prendre la mesure de l’épuisement de la terre.

Ce groupe légumes de notre quartier, pas vu à la télé, est pour moi un peu aussi le lieu de renouer avec l’imagination (il en faut dans les rapports entre nous), avec notre terre, avec notre humanité.

* sous-titré Sur l’âme à l’époque de la 2e révolution industrielle, 1956, rééd éditions Ivrea. On y lit, mise en exergue, cette fabulette : Comme cela ne plaisait pas beaucoup au roi que son fils abandonne les entiers battus et s’en aille par les chemins de traverse se faire par lui-même un jugement sur le monde, il lui offrit une voiture et un cheval. « Maintenant, tu n’a plus besoin d’aller à pied », telles furent ses paroles. « Maintenant je t’interdis d’aller à pied », tel était leur sens. »Maintenant, tu ne peux plus aller à pied », tel fut leur effet.

**  Dans Connaissance de l’écrivain, Sur la littérature, la vérité et la vie, 2008, éditions Agone

Xavier Vanandruel







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