Retrouver le temps
6112011Je relis un ouvrage qui me paraît parmi les plus importants aujourd’hui: Accélération : Une critique sociale du temps, de Hartmut Rosa*. Je l’ai acquis pour essayer de trouver une réponse à ces questions: Pourquoi, si je propose aujourd’hui quelque chose à quelqu’un, la réponse la plus fréquente inclut-elle : « Je n’ai pas le temps » ? D’où vient ce sentiment, que je partage, que le temps nous manque?
La thèse de Rosa est audacieuse : « Ce n’est pas le développement des forces productives, mais l’accroissement de la vitesse qui constitue le véritable moteur de l’histoire moderne » (p.120). Un accroissement qui prévaut aussi dans le changement social tout comme dans le rythme de vie et, par là, dément les promesses de confort et de temps libéré que paraissait apporter l’accélération purement technique. Sans doute se déplace-t-on plus vite et fait-on les choses plus rapidement, mais le nombre de déplacements et de tâches à mener augmente plus vite encore.
Faut-il voir dans cet affairement, comme le suggère en passant Rosa, après Zygmunt Bauman, une suite à la relégation de la religion et de sa promesse d’éternité?
Rosa note qu’un effet des formes contemporaines de cette accélération (dans les transports, la communication, dans la vie sociale et le rythme individuel de vie) est d’abolir les distances et, en définitive, l’espace comme cadre de notre existence.
On peut s’opposer à cette accélération et à ses conséquences, quand on l’interprète comme une perte pour notre humanité. C’est le cas de Tim Robinson, qui voit l’homme en son essence comme un être spatial, et s’est consacré à préserver de l’usure du temps les marques de ses prédécesseurs sur la terre d’Irlande qu’il habite**. C’est le cas aussi de Fabienne, formatrice en permaculture rencontrée à Lens-Saint-Rémy, qui insiste sur le non agir qu’enseignait le maître permaculteur japonais Manasobu Fukuoka. La permaculture, par la confiance qu’elle accorde à la nature, libère le temps. La vie en habitat groupé avec deux heures quotidiennes de travail partagé sur la terre attenante rend à disposition une grande quantité de temps pour soi, répète Fabienne. Et nous permet de mieux habiter l’espace local qui est le nôtre.
À découvrir dans le prochain MaYaK 6, deuxième volume sur le thème Solitudes en sociétés.
* Hartmut Rosa, Accélération Une critique sociale du temps, Editions de la Découverte, 2010 pour la traduction française
** et a aussi intitulé un de ses ouvrages plus personnels My Time in Space
Xavier Vanandruel
Catégories : Hartmut Rosa, Manasobu Fukuoka, travail de la terre, Zygmunt Bauman