Art et vie

26122011

Art et vie dans Anton Tchekhov phpThumb_generated_thumbnailjpg-150x88

Il y a peu de temps j’assistais au théâtre des Tanneurs à une représentation d’Ivanov Re/Mix, une adaptation moderne de la pièce Ivanov de Tchekhov. Musique live amplifiée, usage de la vidéo, distribution des rôles africano-asiatico-européenne. A un moment, des plus extraordinaires, les comédiens ouvraient vers une cour extérieure les portes du théâtre et allaient vers le dehors. Il neigeait. Et c’est aussi  comme si la pièce de Tchekhov accueillait le monde au présent. D’ailleurs les comédiens gardaient sur scène leur prénom, leur personnalité, leurs aspirations. La jeune femme noire invitée à une soirée d’anniversaire chez les Lebedev se révoltait contre le début de débauche où les autres semblaient se laisser aller: elle était sans doute comédienne mais ça, non, ça ne lui allait pas et elle le disait avec véhémence. La femme d’Ivanov refusait quant à elle de mourir après le 3e acte, comme l’a voulu Tchekhov, mais revenait au 5e et appelait à l’espoir. Le très jeune Melchior, que tous semblaient affectionner, s’était retiré en saluant car, même s’il n’y avait pas école le lendemain, un enfant a besoin de dormir la nuit.

Repensant à cette pièce, je m’en rappelais une autre: Versus, au théâtre Marni (voir un billet précédent de ce blog). Le comédien en scène revivait la découverte de la mort tragique de son père. Près de lui des musiciens, dont à la trompette Greg Houben, le fils de Steve – sa sonorité et son phrasé m’avaient fait songer au Miles Davis de la période Blue Note (mais oui).

Au repas partagé à l’occasion de l’enregistrement du CD pour le numéro 6 de MaYaK, Steve évoquait la cordialité de ses relations présentes avec son fils. La conversation tournait aussi autour du saxophoniste Stan Getz, créateur musical lumineux dans l’instant, mais à la personnalité privée tachée d’ombre. Steve répétait le pourquoi de ce don musical qu’il faisait à la revue: par sympathie pour le projet, par amitié. 

Ainsi, et peut-être parce que les temps sont à l’urgence, on voit des artistes ouvrir des portes de leur art vers la vie. « L’art est la preuve que la vie ne suffit pas », écrivait Cesare Pavese. Plus tard, il se suicida.  En ces temps difficiles, ne pourrait-on dire: aujourd’hui l’art recherche  la vie, comme la vie a besoin de l’art?

Comment mieux remercier Steve qu’en veillant à ce que MaYaK continue le projet d’offrir une culture vivifiante

Xavier Vanandruel

 

 




« Primero », Lisi Estaràs, les Ballets C de la B aux Tanneurs

19032010

Singer l’humain, dans une extrême souffrance. Et faire apparaître cela dans une chorégraphie. Oui, je me suis dit (sans vraiment savoir ce que c’est…), voici l’hystérie (clinique). Peut-on en faire une danse ? La danse de l’hystérie avec, malgré sa violence, ses crises, sa solidarité de groupe, sa vulnérabilité extrême… Des symptômes qui deviennent danse ; la compulsion, le geste répété, qui se chorégraphie. L’imitation, où l’autre qui fait peur est copié, dupliqué dans ses gestes, l’imitation qui se fait danse de groupe.

Je voyais ces motifs et je croyais les reconnaître. Comme par (autre) exemple, l’homme à côté de son corps qui active à distance des objets, ou ce groupe d’homme et de femmes qui assistent un individu en répétant ses gestes, en les faisant avec lui. Très chorégraphique, cela… Une scène où un des danseurs, corpulent, fait des gestes après le ballet d’un danseur plus léger, et les autres danseurs progressivement le suivent et l’assistent dans son effort. Aussi dans sa respiration haletante. Une chorégraphie de la respiration, du souffle qu’on tente de reprendre, de rattraper… Des tableaux chorégraphiques très riches qui s’enchaînaient… Bien sûr dans la danse, le rapport au corps, la pesanteur de la chair qui parfois s’évapore ; ce qui est aussi un motif hystérique…

Je retrouvais cela, je bâtissais, tableau chorégraphique après tableau, une compréhension que je sentais déjà disparaître dans ma mémoire défaillante à mesure que les saynètes s’enchaînaient.  J’aurais dû revoir et revoir ce spectacle qui m’émouvait tant, jusqu’aux larmes à vrai dire. Il faudrait revoir les chorégraphies fortes qui se livrent sans possibilité d’arrêt image… Je me demandais si la folie, le corps fou, avait déjà prêté ses formes dramatiques à la danse ? Oui, sans aucun doute… 

Ici c’était au Théâtre des Tanneurs. Une grande scène, des meubles du XIXe, en désordre et cinq danseurs, deux belles femmes et trois beaux hommes – un petit costaud, un moyen mince, un troisième corpulent – qui semblaient figurer une maison de fous à l’heure de Freud, ou juste avant. Sur scène, aussi, un joueur de clarinette virtuose et des airs, parfois yiddish ? Une folie située, dans une société qui la produisait et la protégeait ou plutôt l’enfermait. Mais la prison semblait ici dorée, avec ces meubles bourgeois (qui, à la fin, seraient empilés en une tour menaçante).  La folie qui mime l’humain, le cherche mais le transforme en grimace, par impossibilité de le vivre.  Cela passait, sentais-je, dans le mouvement de ces danseurs accompagnés d’une bande son et du clarinettiste… Spectacle violent et tendre, très émouvant… Remarquable performance de danseurs qui faisaient sentir un rapport au corps tronqué où la pesanteur par exemple disparaissait par fou miracle… Le rapport au corps de l’hystérique ?  Ce qui m’a frappé c’est qu’en voyant ce décor fermé mais profond en espace tout de même, ce groupe de danseurs, je me sois dit très vite : c’est l’hystérie. Or, à vrai dire, je ne sais pas de quoi je parle ( !), je n’avais qu’une vague intuition mais ce mot et la représentation de son contenu que j’ai en moi s’imposait…  

De retour à la maison, je vais voir sur le site des Tanneurs. Et je lis ceci :  « Après l’ambiance argentine de Patchagonia, Lisi Estaràs des incontournables ballets C de la B revient avec primero, une chorégraphie sur l’enfance et l’horizon lointain de ses souvenirs. Elle nous fait revivre nos « premières fois», ces moments magiques de la vie où tout n’est que pureté. Accompagnés de musique, les mouvements des danseurs prennent la forme de cet état d’inconscience si typique à ce monde enfantin d’agitation et de découverte. Depuis le salon de notre enfance, les souvenirs fugaces ou tenaces, imaginaires ou vécus ne deviennent-ils pas tous fantasmes ? »  Toute cette violence ou force dans les mouvements (comme les chutes face contre terre), je la rapportais à une forme de folie, douce par moment, mais dans l’intention de la chorégraphe, il y avait semble-t-il l’enfance, les souvenirs de l’enfance. « Fantasmes » certes, « inconscience », certes…  Il y avait une scène, « vendredi », où les danseurs, parlant, disaient ce qu’on fait le vendredi, jour de fête en quelque sorte, dans les familles honorables. Ce tableau finissait par dégénérer en une danse frénétique où l’on criait notamment les coups bas financiers que l’on faisait aux autres le vendredi… Il y avait des danses apaisées sur de vieilles chansons populaires en langue allemande, où là perçait une nostalgie réconfortante. Et j’interprétais tout cela comme le jeu de la folie qui naît d’un milieu social particulier, dont certains hommes se détachent, mais, dans la folie, le retrouvent et le rejouent dans ce qu’il a de rassurant, dans ce qu’il a d’inquiétant, de violant l’humain, de profondément traumatique. 

Regarder la chorégraphie, développer une compréhension qui colle aux tableaux que l’on voit puis se rendre compte que ce n’est pas dans les intentions de la mise en scène. Zut. Enfance et hystérie, les rapports ? Il y en a certainement…  Mon interprétation ne recoupait pas ou peut-être la présentation de ce spectacle impressionnant et très émouvant… 

Je repensais alors à mon ami et maître en hédonisme LIN Yutang qui décrit si bien, dans un des chapitres de L’importance de vivre la formation (solitaire, corporelle) du goût en présence de formes d’art et l’indépendance naïve de celui qui ose le jugement (de goût, de snentir et de perception) hors des commentaires entendus. 

Merci Yutang de me conforter dans ce plaisir nourrissant du regard…

Hugues Robaye 

Création mondiale de Primero (malheureusement, dernière date aujourd’hui 19 mars aux Tanneurs, puis tournée, je suppose). Dansé et créé par : Benny Claessens, Bérengère Bodin, Nicolas Vladyslav, Samuel Lefeuvre, Vania Rovisco. Musique : Yom – clarinette. Chorégraphie : Lisi Estaràs. Dramaturgie : Bart Van den Eynde. Scénographie : Wim Van de Cappelle. Eclairage : Kurt Lefevre. Son : Sam Serruys. Costumes : Dorine Demuynck. Direction production & tournée : Mimi van de Put. Production : les ballets C de la B 

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Lisi Estaràs et le visuel du spectacle







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