De l’arène à l’agora

14112019

cover Kouam cover pour l‘A5 avec des rabats de 10 cm sur lequel nous travaillons… Phare Papier, cover & publication en devenir proche

de l’arène à l’agora

J’ai croisé Hervé Yamguen sur les réseaux sociaux. Je lisais ses « publications » et regardais ses tableaux. Les textes : des chroniques de Douala la grande ville (où réside Hervé en artiste engagé : atelier et événements divers) et des scènes de village (où il est devenu récemment, suite à la mort de son père, un notable gardien des traditions). Ces textes : des récits teintés de réflexion : des visions de la société. Des textes politiques mais sans le revendiquer.

M’interrogeant sur la question du « littéraire », sur les manières dont il se montre dans une société, j’ai particulièrement goûté cette écriture appliquée au quotidien, au vivre-ensemble, au peuple, à son avenir. Je considérais aussi la spontanéité de la publication (rendre public), que permet le contesté facebook. Une publication sans prétention, hors milieu, jetée dans le monde.

J’écrivis à mon ami virtuel que nous pourrions faire, de ces chroniques éparses, un livre, avec textes et images. Hervé réagit promptement et m’envoya un matériau soigneusement commenté que je composai, mis en place, articulai. Nous avons publié Héroïsmes quotidiens en 2017.

Plus tard, Hervé, qui était en résidence à Berlin et vint me rendre visite en Belgique, proposa un autre projet qui partait d’une suite poétique de Kouam Tawa consacrée à la situation politique du Cameroun. Émule de HD Thoreau, je m’intéresse peu à ce qu’on appelle l’ « actualité ». Quand on connaît les causes, inutile de multiplier les exemples à l’envi, écrit plus ou moins le transcendantaliste américain pour expliquer qu’il a arrêté de lire les journaux… Certes, trop souvent peur et cupidité régissent le monde des hommes et expliquent à répétition, tristement, l’ « actualité »…

Je me mis à lire la suite poétique de Kouam, Dans l’arène, et je fus frappé, touché par cet appel au peuple. Une fraîcheur d’expression à laquelle nous ne sommes plus habitués, ici, dans les pays « riches », occidentaux, aux systèmes sophistiqués, compliqués, cloisonnés qui déterminent aussi la production littéraire.

Le dialogue avec mes amis camerounais s’avérait nécessaire pour repenser, re-sentir la sphère politique, le politique… Dialogue, échange d’expériences ! Je cherchais d’ailleurs cela depuis mon premier séjour, en 2012, au Burkina Faso où je rencontre des acteurs du « développement endogène » et agroécologique (personnes, associations, ONG locales), en ces contrées où l’agriculture familiale, le village, l’économie informelle, la production artisanale ou semi-artisanale restent la base du développement des collectivités et personnes…

J’interroge chercheurs et artistes dans ces sociétés où différentes formes de savoirs et d’autorités voisinent (scientifique/traditionnel ; étatique/civile/coutumière), où les cultures traditionnelles sont plus opérantes, participent plus à l’élaboration constante des communautés. Je récolte les témoignages de ces consciences fortes, en mouvement, en devenir, artistes et chercheurs qui affinent, aussi, leur jugement par rapport au modèle occidental, ce « consumérisme productiviste » qui ravage Nature et psychologies humaines dans nos pays dits (comme si c’était acquis) « développés ».

Ma vision politique de nos contrées s’est teintée de cette expérience du Burkina.

« Développement endogène » : la notion de Joseph Ki-Zerbo, je l’appliquais à la Belgique. Je repérais des développements endogènes : le majeur, ce fameux productivisme, lié à l’obsolescence programmée et au consumérisme, à l’industrialisation de tous les secteurs, à la technologie toujours plus avancée, à des inventions d’apprentis sorciers, directement mises sur le marché sans qu’on ne contrôlât sérieusement leurs effets potentiellement néfastes et souvent avérés tels.

Oui, il y avait ce mode de développement-là lié à notre histoire, puis toutes ces initiatives, elles aussi liées à notre histoire, à nos mentalités, qui s’écartaient de ce courant majeur et qui « réseautaient » à travers le pays. Un réseau : des foyers de développement endogène qui émettaient comme des vibrations et se complétaient, se renforçaient mutuellement ; je ressentais la nécessité de cartographier ces politiques visionnaires fragmentées : petites fermes bio, artisans, collectifs citoyens, groupes de simplicité volontaire, magasin de proximité et circuits courts, réseaux (sociaux) de potagers collectifs, adeptes de la géographie humaine, permaculteurs, écrivains enracinés et universels, écomusées, citoyens à projets imaginatifs, coopératives, ceintures alimentaires, villes en transition, etc. Chacun de ces foyers rayonnait à sa façon et donnait le (un) ton au politique, le réinventait, le faisait re-sentir…

Donner le ton : je pensais aussi aux musiciens et à l’énergie dont ils nourrissaient leurs publics ; et il n’y avait pas de frontières : Newen Afrobeat prolongeait au Chili la tentative de Fela Kuti en Afrique. Sur cette place de Santiago, ils sautaient comme des ressorts tout en jouant avec une énergie transformatrice qu’ils diffusaient aux auditeurs spectateurs : occuper d’une certaine façon l’espace-temps : c’était politique, comme le genre de perception, de présence affinée au monde, auxquelles nous engageait tout artiste authentique. La musique nous mettait en condition particulière pour aborder le monde partagé. Me revenait à l’esprit la force opérante, stimulante des tableaux de Hervé, de ses chroniques et de la poésie de Kouam.

Nos développements endogènes, donc, avec en toile de fond, le fantôme de l’ « état providence », ce modèle politique apparu dans nos pays riches ; un état mère qui veille et soigne et est attentif ; un « état providence » de plus en plus éreinté, mais qui continuait à assurer aux citoyens un certain confort de vie, même si, disait-on, le pire était à venir…

Et nos utopies des années 60 : la « société des loisirs » qui ne manquerait d’arriver grâce à la technologie qui allait rendre le travail inutile et permettre aux habitants de devenir plus humains, de se cultiver, l’abondance atteinte. Nous n’en parlions plus de cette société des loisirs. Constituait-elle une trop grande menace pour les privilégiés qui maintenaient les masses dans l’asservissement ? Là, je repensais à la réflexion de Thomas Sankara qui fédérait les masses du sud à celles du nord, écharpées, au fond, par les mêmes vautours ; ce qui rendait le dialogue sud/nord encore plus nécessaire : quels moyens allions-nous inventer ensemble pour sortir de l’impasse consumériste que René Dumont décrivait en détail dans les années 60, relayé par les théories bien étayées des collapsologues d’aujourd’hui ?

Au cours de l’été 2019, je reçus donc la visite de Hervé et plus tard de mon ami et partenaire, Abdoulaye Ouédraogo qui fêtait les 20 ans de son ONG burkinabè : APIL (Action pour la promotion des initiatives locales). Son ONG veille (en agroécologie) sur l’économie de 180 villages (agriculture, maraîchage, élevage, agroforesterie, apiculture, conservation des traditions…) et incarne à mes yeux ce que j’appellerais une puissance intermédiaire, née de la société civile. APIL travaille en collaboration avec 6 ministères locaux et est soutenue par des partenaires étrangers. Abdoulaye me confiait, tu sais quand je vais dans les ministères, c’est avec 180 villages derrière moi et tu ne le croiras pas, mais je connais presque tous les habitants de ces villages ; je suis d’ailleurs issu d’un village, moi aussi.

À Hervé puis à Abdoulaye, je parlai de cette charge informelle qui m’avait été proposée : la présidence de la commission du patrimoine de cette commune verdoyante, encore partiellement rurale, dortoir aussi, riche où j’habite et qu’un accord de coopération rapproche de la commune de Ziniaré au Burkina Faso… Patrimoine naturel, humain, culturel, architectural : il y avait tout, au fond, dans cette charge, la mission d’un roi débonnaire ! Avec mes deux amis, nous rencontrâmes, lors de leur séjour, de ces citoyens foyers d’énergie. Nous parlions… politique fondamentale, politique du paysage partagé, vision du monde, du (ou des) pour quoi des communautés…

(J’ai gardé tout au long de cette contribution, ce temps de l’imparfait éternel… Temps révolu mais qui porte aussi, lovée, la révolution !)

Je lisais donc le vibrant appel de Kouam au peuple camerounais afin qu’il réagisse à l’enlisement de son pays. Il m’a inspiré cette réflexion sur ce que je sentais en moi des sens possibles du mot « politique », en les appliquant à mon pays.

Et, dépasser l’enlisement ? Hervé et Kouam ont accepté d’exprimer, chacun à sa façon, très librement, sa vision politique ; sa vision d’un Cameroun désirable, fidèle à lui-même, à ses forces, avançant dans le temps selon ses styles à lui…

De l’arène à l’agora

HR




HERVÉ YAMGUEN à Lessines & Walcourt les 3/4 août 2019

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Le net fait parfois bien les choses…

J’ai croisé Hervé Yamguen (Cameroun) sur facebook ; nous avions un ami commun (plus, en fait) à Ouagadougou (Burkina Faso), le peintre Sambo Boly (que j’avais croisé sur le net parce que nous avions…).

Je les ai ensuite rencontrés en âme, os et chair, tous les deux. Et le courant a passé, comme on dit : des projets communs, des œuvres de ces deux peintres en dépôt, en expo et en vente… ; des contacts réguliers, presque quotidiens : « Et chez vous, Maître Sambo ? La famille, le travail ? La santé ? ». Si pas quotidiens, nous nous disons : « Ça fait deux jours ! »

Hervé Yamguen : peintre, sculpteur, performeur, écrivain, poète, il vit dans la grande ville de Douala au Cameroun, dans le quartier [révolutionnaire] de New-Bell où se trouve son atelier. Il anime la « K Factory », lieu de résidence pour artistes transdisciplinaires et galerie d’art.

Je pense à Hervé Yamguen comme à un artiste engagé, soucieux de l’avenir du peuple camerounais et pensant que ce souci est au centre du travail artistique : dire, penser, écrire, dessiner des modèles de vie ensemble.

Je suis (suivre et/ou être en porosité ?) son travail avec le poète Kouam Tawa. Il me rappelle ce que faisait le grand Max Elskamp en Belgique : poète et plasticien qui choisissait d’être un chantre du peuple de Flandre.

Le mot « peuple », oui d’accord, désuet ? Je ne sais pas. Je pense aussi à « Zadig », en France, cette revue-livre qui part du principe qu’il faut revoir avec de nouveaux yeux, de nouveaux mots la France, les Frances, l’infinie diversité culturelle d’un espace de vie ; et que ce sont ceux qui manient une langue à dimension artistique qui sont le plus à même d’inventer, de proposer un horizon de sens pour une population ; Hervé Yamguen et Kouam Tawa font cela, je crois bien… Je pense bien sûr, aussi, à Thomas Sankara, à sa vision pour le Burkina Faso qui aurait pu devenir le premier état agroécologique (par exemple).

Après avoir composé ce livre – /Héroïsmes ordinaires/  – au gré d’échanges virtuels avec Hervé Yamguen, j’ai pu le rencontrer à La Maison de la Poésie de Paris, rue Saint-Martin. Et là : Quelle présence ! Déterminée, accueillante : un « mécontentement joyeux » à la Jiddu K ; un homme ni optimiste ni pessimiste mais « possibiliste » selon les mots de Kenneth White que Hervé lit en ce moment (vu sur facebook :-) ), expérience de lecture ondulatoire qui entre en résonance avec son travail de plasticien peintre au cœur d’une résidence d’artiste au SAVVY, à Berlin.

Hugues

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