Que fais-tu au juste au Burkina ? (1)

8042015

boubacar blog Boubacar LY, Dori, le 17 février 2015.

Parfois des personnes me demandent « ce que je fais au juste au Burkina ». Cette question – pourtant simple – m’apparaît au bout d’un moment complexe et abyssale. Je peux y répondre de façon technique mais elle a des implications insoupçonnées, beaucoup plus profondes.

D’abord la réponse technique.

Nous développons en parallèle deux activités.

À chaque voyage, nous menons une enquête sur le développement endogène au Burkina Faso, nous rencontrons des personnes qui incarnent ce mode de développement reposant sur les cultures africaines et partant d’elles. Nous interrogeons des artistes, des chercheurs, des bâtisseurs, des agronomes, des hommes politiques, des artisans, etc. Nous enregistrons les entretiens. Souvent ces personnes qui ont une activité particulière aiment à se situer dans les équilibres sociaux de leur pays, ce qui donne à leur travail une perspective plus large…

Concomitamment et depuis le premier voyage en 2012, nous entretenons des relations avec un village au nord de Ouagadougou – Bendogo – et organisons, stimulons différentes choses. Nous, c’est le noyau de « Burkimayak » (Amina Yanogo, Catherine Demey, Valérie Detry, Nafissatou Ouédraogo, Éric Kabré, Jean-Claude Kangomba, Patigidsom Koalga, François d’Assise Ouédraogo, Alexandre Tapsoba). Burkimayak, un département, si je puis dire, du GE !: l’association « Groupe Esthéthique ! » qui édite notamment la revue-livre annuelle MaYaK (bien connue de tous). Dans ce travail de terrain, nous souhaitons comprendre et échanger sur les microsocioéconomies villageoises qui sont encore bien vivaces quoique menacées et qui nous paraissent présenter des analogies avec certains mouvements du Nord : permaculture, agroécologie, simplicité volontaire, décroissance, antiproductivisme, renouveau rural, etc. Une analogie accidentelle, puisque nous constatons que les villageois, la plupart du temps, rêvent d’une « société capitaliste de pointe », selon l’expression tragi-comique d’Haruki Murakami. Mais nous allons toujours au village en compagnie de Burkinabè qui souhaitent autre chose, des artistes ou des chercheurs qui ont au fond d’eux un village rêvé qui tient beaucoup plus du village dont nous rêvons ici, au Nord… Pour désigner ce genre de rencontre, d’échange, j’emploie l’expression prudente, sans engagement exagéré, de « coopération relationnelle » ; nous œuvrons ensemble à quelque chose au sein de relations (amicales), de réseaux qu’on voudrait approfondir…

Ainsi, cette année, nous avons initié un jardin-pépinière agroécologique dans la double école primaire. Sous la direction de Patigidsom Koalga qui a déjà encouragé 22 créations de ce type. Patigidsom est travailleur social (il s’occupe des enfants des rues) et permaculteur ; anime une association dans son village natal où il œuvre au « rayonnement endogène », selon une autre expression burkimayaque. Nous sommes vraiment sur la même longueur d’ondes pour ce qui est de cette intervention au village. Le jardin-pépinière : fournir des légumes à la cantine scolaire, vendre le surplus, procurer  des revenus à l’école ; expérimenter ce laboratoire socio-économique qu’est un jardin (potager) pépinière : organiser le travail, essayer des techniques de culture, de nouveaux légumes, cuisiner cela, vendre, sensibiliser à l’agroécologie, produire avec les enfants des documents pédagogiques, par exemple calendrier des semis ou document sur les vertus des légumes et arbres implantés là ou recettes de cuisine…

Parallèlement – deuxième initiative cette année –, nous avons complété la bibliothèque rurale commencée l’année passée et trouvé à Ouagadougou des partenaires dynamiques (comme on dit) pour la mettre en valeur : Ousseni Nikiema (écrivain, conteur, libraire et bibliothécaire) et Eric Kabré (dessinateur et informaticien)… Des livres en français et en langues nationales (mooré et dioula) autour de questions pratiques de culture, d’élevage et d’économie rurale.

Ces deux activités ont été rendues possibles grâce à la générosité d’un mécène privé, le bureau d’expertises comptables Yves Dekegeleer (Mouscron). Les deux années précédentes, c’était la Députation permanente du Hainaut Occidental (Serge Hustache, chargé des relations internationales) qui avait soutenu nos initiatives.

En 2012, nous faisons connaissance avec les associations du village. Nous nous y rendons à deux reprises et lors de notre deuxième rencontre, en fin de voyage, j’évoquais des initiatives que nous avions rencontrées par le Burkina et qui offraient des solutions aux difficultés évoquées par les villageois lors de notre première réunion.

La deuxième année (en 2013), nous organisions un atelier dessin / photo / cinéma avec les enfants du primaire et secondaire, aboutissant au tournage et montage de « Villages en savane », un court métrage de 11 minutes qui présente Bendogo. Le village – par ses enfants (et de plus grands) – portait un regard sur lui-même, en réaction à des mots que j’avais pointé et qui me semblaient représenter à mes yeux blancs un village en savane… Le court métrage est visible sur youtube ainsi que sur ce blog (http://mayak.unblog.fr).

L’année suivante, Valérie Detry – animatrice et clown relationnel – orchestre un échange de lettres entre deux classes primaires de Liège et une de Bendogo. Elle vient au Burkina en janvier 2014 et anime un atelier de conte, dessin, danse et musique (thème : l’arbre) avec la classe de Bendogo et trois danseurs professionnels accompagnés de leur percussionniste. Cela donne lieu à une fête au village où nous montrons une expo réalisée à partir de dessins et photos faits pour le tournage du court ainsi que d’autres documents illustrant les résultats de nos recherches sur le développement endogène. Démonstration de fours solaires, plantation de moringa (l’arbre du paradis dont les feuilles fournissent une farine aux propriétés nutritives exceptionnelles) ; plantation d’arbres – notamment un caïlcédrat offert par Yacouba Sawadogo « l’homme qui fit reculer le désert », célèbre agroécologiste local, sono et concert de Madi Nikiema : le programme de la fête est varié…

Cette même année, nous suscitons la rencontre entre les associations de cultivateurs/éleveurs locales et des acteurs de l’association internationale DIOBASS qui promeut la recherche paysanne et l’autonomie des villages. Résulte de ces échanges un relevé des difficultés rencontrées dans l’élevage et les cultures et un scénario de plan d’actions (selon la méthode DIOBASS explicitée dans École aux champs de Hugues Dupriez) sur deux ans est imaginé (en cours)).

Ces trois premières années d’échanges ont été détaillées dans un album textes-images : Histoire d’amitiés, Histoire de réseaux (collection chantier-école, Phare Papier)…

Enfin, nous continuons à tourner. Avec François d’Assise Ouédraogo, Nous filmons des séquences destinées à un court ou moyen métrage qui s’intitulera « Rencontres » et montrera ces croisements de gens divers provoqués par une association du nord dans un village du sud avec en fond, une réflexion sur les échanges nord/sud…

Le travail expérimental au village, nous le combinons donc avec des recherches plus personnelles sur les ressources endogènes du pays. A cette fin, nous avons rencontré des personnalités comme – dans le désordre – Sylvain Korogo, Amidou Ganamé, Bernard Lédéa Ouédraogo, Patrick-Armand Pognon, Arnaud Chabanne, Madi Nikiema, Sem Baba, Esther Tarbangdo, Charlemagne Kaboré, Emmanuel Lalsomdé, Benjamin Nabi, Pierre Ouédraogo, Léandre Yaméogo, Ousséni Nikiema, Maurice Oudet, Camille Louvel, Abdramane Sow, Victor Démé, François d’Assise Ouédraogo, Moumouni Jupiter Sodré, Yvo Moussa, Abraham Abga, Lazare Sié Palé, Amadou Balaké, Yacouba Sawadogo, Sana Bob, Christian Legay, Pando Zéphyrin Dakuyo, Boubacar Ly, Marguerite Doannio, Monseigneur Compaoré, Séri Youlou, des chefs de village, des animateurs d’associations, des chercheurs, des artisans, des artistes, etc. Enregistrements à la clé, retranscriptions partielles et intégration de ces matières dans un carnet de voyage en cours de publication. Comme disait Jacques Faton, dans ce genre de voyage associatif, il faut avoir un objectif personnel dont la réalisation ne dépende que de soi.

Cette enquête sur le rayonnement endogène donne de la perspective au travail que nous effectuons au village, comme un horizon…

Par ailleurs, il est utile de mettre ces informations en réseau et d’ainsi rapprocher des initiatives porteuses d’espoir mais qui souvent ne se connaissent pas. Le travail de Burkimayak est d’information, de communication, de mise en réseau et de promotion de projets…

Voilà pour la réponse technique.

Venons-en à longer l’abîme (tout relatif !).




Au Burkina (3)

8022012

Au Burkina (3) Num%C3%A9riser0002-150x90  Hugues, Laetitia Klemtoré et Mady Sankara, par Yvo Moussa                                                                                                                                                                                                                                     

Un troisième billet de Hugues, reçu ce 7 février:

Bonjour!
De nouvelles rencontres enthousiasmantes ici au Burkina. 
Comme Sylvain Korogo qui se forme auprès de Pierre Rabhi dans les années 80, du temps du président Sankara et organise des formations en agroécologie dans le cadre de son association AVAPAS. Il nous rencontre paré de son superbe «sankara arrive», habit traditionnel que le président ci-haut avait demandé de porter à nouveau du temps de son mandat. Dans son habit noir et or, Korogo nous raconte ses souvenirs et nous parle de ses projets, comme celui de demander le déclassement de sa forêt natale afin d’y réimplanter beaucoup plus d’essences d’arbres désormais disparues. 
Dans l’Ouest, dans le Yatenga, nous visitons les installations des groupements Naam, initiés par Bernard Lédéa Ouédraogo dans les années 70. « BLO, presque un dieu au Yatenga », nous disait notre hôte à Ouaga; BLO qui réussit à écarter les famines en écoutant les paysans (formé en sociologie à Paris, il retourne dans son village pour étudier à fond les systèmes d’entraide paysanne des Mossi, les valoriser et les adapter au monde d’aujourd’hui). « Développer sans abîmer »: l’une de ses devises. Il met au point des techniques de séchage des légumes, ce qui permet de passer la saison sèche sans trop d’ambages. « Goûtez donc notre couscous de pomme de terre », nous conseille-t-il… « Une invention de nos groupements de femmes dont je vous invite à aller voir les réalisations diverses (notamment les savons) dans notre atelier », ajoute-t-il, lui qui a 82ans et sort d’une difficile convalescence… La veille nous étions sur les hauteurs de sa petite ville natale, Gourcy, et rencontrions les potières renommées, qui entreposent à ciel ouvert leur production toute utilitaire. Comme par exemple ces pondoirs pour poules arrondis comme des oeufs à venir ou ces « canaris » qui servent à conserver l’eau fraîche. Entrepôt à ciel ouvert car disent-elles, personne ici ne volerait un produit de la terre pas plus qu’on ne volerait ces briques de banco destinées à construire un muret entourant la cour (par contre on volera un seau en plastique servant de valeureuse poubelle, dans un pays où chacun jette ses déchets à terre…). Dans la lumière du crépuscule, les femmes préparaient un bûcher: bouses de vaches puis bois de section de plus en plus grosse et disposaient entre ces combustibles des formes rondes à biscuit, en terre à cuire… Nous passions à côté d’une cour avec son grenier à mil arrondi, couvert d’un chapeau de paille pointu que l’on écarte délicatement pour qu’un enfant s’y glisse et ramène un peu de mil… Nous arrivions alors chez leurs maris, les forgerons de Gourcy et sous leur auvents couverts de paille nous suivions toute la chaîne de production de ces petits bracelets de cuivre que pour l’heure ils fabriquaient. Le chef me montrait une charrue qu’ils venaient de monter et des machines en tôle servant à éplucher les légumes, comme le maïs.
Une semaine avant, nous avions rencontré dans son musée de Manéga, dédié à la vie traditionnelle des ethnies du Burkina, Maître Titinga Pacere, le premier avocat du Burkina et aussi Ministre des Coutumes de ce village dont il écrivait jadis l’histoire. Il nous parlait de la bendrologie, cette science des tambours, et du langage des masques, tout en évoquant les différences entre les droits coutumiers et le droit moderne qu’il avait appris à Rennes…
Il faudrait bien sûr parler de la Brakina (la pils locale) et du dolo, cette boisson artisanale fermentée que l’on boit parcimonieusement dans une calebasse, sur la place du village, ou dans les rues de Dédougou tout en suivant des yeux les hommes masqués et armés qui rançonnent les passants et entrent dans les cours des familles (c’est l’époque des masques dans cette petite ville que nous venons de visiter et où un soir, sur la place du village devant une grande assistance,  j’ai pu entendre ravi, des chants musulmans répétitifs en dioula).
Demain, nous partons pour le Sud et les réserves, aussi pour visiter quelques villages gourounsi aux architectures si étonnantes.
Mais le 13 février se rapproche, jour de mon retour en Belgique…
Avec toutes mes salutations amicales,
Monsieur Hugues






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